...mais tu as un bon fond". C'est ce qu'une mère répétait à son fils, un psy qui fut durant 10 ans, gloire à son âme, mon grand-père spirituel. Il m'a toujours dit : "ma petite Valou, quand j'étais gamin, je trouvais cette phrase incroyablement rassurante". Ce neuro-psychiatre (une branche abandonnée de la médecine et c'est crétin, les maladies neurologiques entraînant souvent des complications du comportement) a été pour moi une bénédiction. Une rencontre capitale. Une osmose. J'étais allée le voir sur les conseils de ma grand-mère, qui avait tout pigé à mon mal être en dépit des sourires façon la la la tout va bien ; la trentaine délabrée, un manuscrit en poche dont personne ne voulait, un mariage naufragé et des soucis à ne plus savoir où les planquer, ça allait mal. Mamie me dit : "vas voir le docteur B, il parait qu'il a du cœur et tu en as besoin". Le docteur B était dans l'annuaire, fadoche à trouver. J'appelai. Une voix d'autrefois me proposa un rendez-vous dans la semaine: il répondait lui même, et ne vous infligeait pas 3 mois de délais. la première fois, il m'a écoutée. la deuxième fois, il m'a dit : "bon, vous avez été bien amochée. Mais je ne vais pas pouvoir vous soigner. Je vais vous indiquer quelqu'un -je pense qu'une thérapie d'un an suffira, - et nous, nous nous reverrons une fois par mois, juste pour discuter". C'est exactement ce qui s'est passé. Jamais Louis ne m'a fait payer quoi que ce soit. J'attendais nos rendez-vous comme si c'était noël... Pendant les vacances, on s'écrivait. Il avait une façon assez surprenante de soigner les gens: "ma chère Valou, on ne va pas parler de vous, on va parler... de moi. Vous êtes quelqu'un d'assez mimétique, on va pouvoir s'entendre..."
En fait, il ne parlait pas de lui, il parlait de la vie. J'ouvrais les esgourdes, on papotait et j'allais mieux. Quand il ouvrait la porte de son bureau-cabinet, il lançait: "bonjour, beauté sublime !" et ajoutait : "je dis 'beauté sublime' à tout le monde". On pouvait tout aborder avec lui. Louis n'avait aucun orgueil, aucun sens du pouvoir, il parlait aussi de ses échecs, de ses chagrins, des personnes qu'il n'avait pas guéries. J'ai appris un peu plus tard qu'il était spécialiste de la dépression et qu'il soignait les écrivains.
Je n'entrais dans aucune des cases, mais l'écouter parler de la façon d'aborder son métier fut très, très enrichissant. Jamais il ne donnait de coup de pieds au derrière, jamais il ne fustigeait l'inertie inhérente à la dépression. Louis me faisait des cours sur les réactions humaines. Il balançait des questions existentielles comme un jongleur, et on rebondissait, toujours et encore, passant du Mal au Bien, du glauque au lumineux, de la non-croyance à la croyance, d'une maladie à l'autre, des symptômes aux faits, des problèmes aux solutions. Parfois, on inversait les raisonnements. Il se méfiait, je m'en souviens, des Lacaniens: il disait que l'importance donnée à l'argent qu'on doit verser en liquide au thérapeute, ça frisait l'escroquerie.
Pas de doute, Louis était un vrai "0FR"... 
Il avait toujours une blague sous le coude. Il écrivait comme un cochon, illisible. J'ai semé ses lettres dans toute la maison, comme autant de talismans. Quand mon premier livre est sorti, on a fêté ça au champagne. Et quand j'ai reçu le prix de l'humanisme médical (un comble! quand je pense aux vacheries que le livre comporte contre les médecins, ils n'ont pas été rancuniers), Louis est venu, claudiquant de douleur - sa sciatique était permanente - pour assister à ma joie.
En 2005, à la fin du mois de novembre, son cœur a lâché. J'étais abasourdie: je l'avais vu, guilleret en dépit de ses ennuis de dos, une semaine auparavant. Je venais de rencontrer Ingalls, et Louis remarquait en souriant: "ma petite Valou, là, je crois que c'est du lourd".
J'ai pleuré comme une malade à ses funérailles. Son assistante m'est tombée dans les bras, sous la pluie, et elle m'a dit : "vous savez, il vous aimait beaucoup. Il trouvait que vous étiez une maman formidable".
Je ne sais pas si je suis une mère formidable, mais je sais une chose : j'ai fait mienne la phrase de Louis, puis je l'ai répétée aux enfants : " tu n'es pas le plus beau, tu n'es pas le plus intelligent, mais tu as un bon fond..."
Baisers d'une pine'up fidèle aux amitiés durables et bon anniv à Rachida et à Gilles, mes copains d'abord.