Il a surgi l’été de ma naissance avec un tube ciselé pour la mélancolie amoureuse. Il l’a repris l’année de mes 16 ans, attrapant dans ses filets toute la génération 80 ; la rattachant aux années 60, avec une part plus sombre, plus âpre, plus sèche.
La mort de certains artistes vous empêchent de dormir, et celle de Christophe n’échappe pas aux dessins insomniaques. Je vois au moins trois Christophe se détacher : le jeune premier modèle de poche au regard très clair, à la blondeur dorée, aux traits fins taillés à la serpe, figé dans une posture Kirk Douglas tourmenté. Aux antipodes de la vision d’un minet. Déjà sophistiqué. Le deuxième Christophe, celui des mots bleus puis du succès fou a trouvé son ancrage définitif : la moustache, la crinière dégradée, le regard un peu figé des myopes qui disparaîtra bientôt derrière les lunettes noires, les vêtements au baroquisme plus ou moins discret qui lui donnent l’allure d’un Aramis étrange, d’un mousquetaire taiseux. L’esthète prend de l’âge, et avec les années, se dépouille presque jusqu’à l’os. Le visage se creuse, les expressions sont impénétrables, cachées sous les verres foncés ; plus l’homme vieillit, plus il se dénude, passant des chemises damassées aux tee-shirts décolletés. Et pourtant, en dépit de certains costumes semblables à des déguisements, nous avions sous les yeux un des plus authentiques artistes français. L’oiseau de nuit n’a rien trahi. Ni sa banlieue, ni ses passions, ni son parcours d’autodidacte. Il a taillé la route avec la simplicité des grands maniaques de la précision. Christophe, ce sont des enthousiasmes au millimètre, des interviews au milieu de la nuit synthétique, des rêves sur fond sonore, une cinéphilie obstinée, un goût pour la langue française et Sunset Boulevard. L’anti flou, en dépit de ses jeux de cache-cache et de son amour de l’obscurité - au contraire : fascinant de cohérence.
La France possède trop peu d’artistes de cette trempe-là. Celle des banlieusards devenus grands seigneurs. Mais s’ils sont devenus grands seigneurs, n’est-ce pas grâce à une fidélité à ce qu’ils ont été ?
Populaire et intimiste, voguant de Brassens à Alan Vega, pilotant ses Ferrari pour finir cloîtré volontaire dans son antre du 14e, chasseur de sons, chasseur d’images, la tête dans les étoiles mais les Santiags bien sur terre, le milord de Juvisy laisse ses admirateurs en plein chagrin.
Good bye, Christophe. L’homme qui sauvait de sa collection de disques « Mystery Train » d’Elvis avait forcément le style dans le sang.