Le récit de Camille Kouchner a été tant commenté deux jours avant sa parution que je pensais le lire en diagonale.
Au contraire de ce que j’imaginais, la précision du témoignage m’a beaucoup intéressée y compris dans son style (j’y reviendrai). C’est un court récit bien construit, divisé en trois parties et qui raconte l’explosion d’une cellule familiale aux adultes oscillant entre ricanements, crime, silence et insultes et aux enfants qu’on prive de transmission.
Le livre s’ouvre sur les funérailles de la mère et sur la description de jeunes quadragénaires désorientés qui s’identifient, loin des mondains et du beau-père, à un groupe de rock. L’image ne marche pas, c’est étrange... J’aurai la réponse à la fin.
La suite se déroule de manière chronologique, avec, au milieu du récit, la scène d’épouvante.
Camille Kouchner dresse le tableau d’une éducation sans écrire un seul jugement. Elle sait que pour qu’un témoignage ait de la force, c’est au lecteur de juger, pas à l’auteur. A nous de regarder cette pauvre famille.
Les médias parlent des parents proches, mais c’est plus grave : aucun parent ne tient debout, y compris la grand-mère.
Au delà du crime, nous sommes dans un environnement d’intellectuels qui s’encanaillent et qui trouvent très intelligent de passer ses vacances à poil devant les gamins en sifflotant dans un mauvais espagnol des airs révolutionnaires aux mélodies blaireaux-bigots tout en embrassant la grande enfance sur la bouche. Le premier mot qui me vient à l’esprit pour les qualifier est « ringard ».
Madame grand-mère, dont l’influence fut, semble-t-il, aussi toxique que celle d’Olivier et Evelyne, n’a qu’une idée en tête : enseignement et séduction tous azimuts. Dans la famille de Madame Grand-mère, les vieux ne meurent pas de maladie, ils mettent fin à leur jour. Le suicide est omniprésent. Ringards, ils le sont ces adultes des années 70 finissantes qui s’échinent à paraître flamboyants là où ils ne sont que pitoyables et ploucs. Leur propre révolte, que Camille décrit non sans admiration, m’apparaît très province et sans attrait. Il n’y a pas de beauté du diable. Les adultes ne se droguent pas en écoutant Dylan, Led Zep, Joplin ou Clapton ; ils picolent sur Julien Clerc ou les airs cucul des poètes sud-américains. Mais, suis-je bête, nous sommes en 87 et le banquet des gueux est passé. Pendant que les rock stars rangent leurs habits de lumière, que le mouvement punk est en train de disparaître, ne reste que le porno chic pour habiller les ors de la République.
J’ai connu ce milieu au début des années 2000 et j’ai été frappée par la justesse des descriptions de Camille Kouchner : j’avais été sciée par le manque de culture artistique de cette élite littéraire, nulle au niveau musical comme au niveau design. J’ai retrouvé cette impression de pèquenauds cérébraux pour lesquels seul le QI compte. Dans ces familles, le handicap cognitif est caché d’une manière bien plus monstrueuse que chez le Français moyen. Le plus incroyable est qu’ils se croient progressistes alors que ce sont des Louis-philippards en retard sur tout. Ces attardés nous ont gouverné, ces attardés nous éditent, d’où le malaise : ce sont eux qui créent les élites. Chez eux, pas de dernier de la classe. Mais chez eux, pas non plus de poésie ou de vraie créativité. Elle est même bridée par la mère, en dépit de ses postures bohèmes.
L’innommable est raconté avec pudeur, mais on sent la douleur qui grimpe jusqu’à la montagne finale.
La consolation vient du personnage de la fragile Marie-France Pisier, seule adulte à comprendre la gravité de la situation.
Le soulagement, lui, arrive avec l’énoncé de la Loi devant les jumeaux.
La Familia Grande est une déclaration d’amour à un frère - le vrai amour, celui-ci - et une question de survie pour son auteur. A la fin du livre, on comprend l’identification un peu artificielle au groupe de rock : hélas, on vous a volé cette identification, on vous a purement et simplement volé l’esprit de révolte.
Comment pardonner l’impardonnable lorsque les incriminés ne s’excusent pas ? Cette question cruelle hante le récit et ne trouve pas de réponse. La seule façon de s’en sortir est d’en faire le deuil.
Les phrases courtes, hachées, leurs terminologies en é donnent une impression de triste mélopée d’un livre dont on ne sait si on va le ranger dans la littérature enfantine ou la littérature classique. Une chose est certaine : non seulement il méritait d’être publié, mais c’est aussi un récit qui peut aider des parents face à la parole d’un enfant en détresse, qui peut aider à prévenir l’inconcevable.
Pour les coupables et ceux qui se sont tus : que votre nom n’existe plus.