La publicité a une fois de plus marché à plein rendement pour célébrer Anéantir avant même sa parution. Michel avait mis quatre ans à écrire ce roman d’anticipation autofictif, autant dire qu’il était attendu comme le messie de notre temps. Notre temps, justement : le livre se passe en 2026 et est censé dessiner, comme d’habitude, un panorama au scalpel de nos us et coutumes. Le livre de 750 pages est immédiatement placé en tête de gondole pour s’offrir, tel un objet de luxe, aux fans du gourou. Ouvrage blanc, élégant, sans quatrième de couv (trop vulgaire), le titre gravé en rouge sang, marque pages à l’avenant.
Les premières pages sont engageantes, Houellebecq est un fin styliste du désespoir et l’ironie est d’emblée présente. L’histoire se résume à la vie d’un haut fonctionnaire, Paul Raison et à son amitié discrète avec un ministre de l’économie, Bruno Juge, sur fond de menace terroriste. Il paraît que Bruno Le Maire se rengorge d’avoir servi de modèle à Houellebecq ; à sa place, nous ne serions pas loin du morts de honte. Après cette première dissertation sur les difficultés du pouvoir et le naufrage des couples qui s’étend sur 100 pages - les meilleures- , Houellebecq laisse tomber le sujet pour se focaliser sur un autre aspect du vivant, presque sans transition : les Ehpad (le père du Paul a eu un AVC). Nous avons alors droit à 200 pages de plaidoyer à la vie pour repartir dans le monde politique à la page 300. Fausse alerte, l’Ehpad n’a pas dit son dernier mot. Il est possible, voire souhaitable, de sauter de la page 300 à la page 500 sans rater aucun épisode majeur, à part souligner que le correcteur n’a pas fait son travail et que la tapisserie de la reine Mathilde devient trois pages plus tard la tapisserie de la reine Marguerite. On piétine. On piétine d’autant plus que Houellebecq rate avec sa constance habituelle les personnages féminins qui restent abstraits, flous, personnages qui, pour certaines, les plus déplaisantes, ressemblent à un règlement de compte de sa vie personnelle. Une scène de prostitution incestueuse qui ne sert à rien dans l’intrigue est gênante, c’est tout. Michel a sans doute voulu se faire plaisir. Et c’est là où le bât blesse : la paresse. Au lieu de dessiner un portrait de notre temps, Houellebecq sombre dans un 19e siècle mis au goût du jour. Il énumère nos maux qui ne sont pas des maux d’actualité. Sa misogynie féroce refuse de prendre en compte les multiples losanges du féminin, ce qui est d’autant plus dommageable pour la fin. Car oui, Michel tente de s’éveiller à l’amour durant les 100 dernières pages ; la politique, les attentats dont la révélation finale est consternante, les cours d’économie pompés chez les spécialistes du moment, l’état des vieillards après un AVC et la situation critique de la gérontologie, ce n’est que de la documentation, un conglomérat de dissertations pour arriver à son sujet final, l’amour et la mort. Ces lourds méandres aboutissent à une vision romantique et tronquée du couple et à son constat : il trouvera l’amour après la mort. Il convoque les romantiques allemands dans leur triomphe de ce qui aurait pu être sur ce qui a été, mais la femme aimée est si plate, si peu existante qu’il reste une certaine idée de l’amour. Rien qui vous prenne aux tripes alors que l’émotion devait enfin affleurer.
Bien sûr, les médias - le Monde en tête - applaudissent à tout rompre et encensent ce livre aussi plat que bien écrit. Le Balzac du 21e est encore à chercher. N’ayant jamais lu Vernon Subutex de Virginie Despentes, mais je compte vite rattraper ce retard, je me demande si ce n’est pas elle qui pourrait prendre la succession d’Honoré. Elle ou une autre. Mais pas Houellebecq.
En conclusion : j’avais été bluffée par La carte et le territoire et l’avait offert à mon mari. François avait détesté le livre pour les raisons que j’énumère plus haut. Mesdames, n’aimez pas les hommes qui apprécient Houellebecq ; c’est suspect. Quant à la mort de mon mari… elle fut autrement plus poignante que ces dernières pages.