Je commence à avoir l'habitude des salons du livre. Sans faire partie des routards qui tournent depuis des années, après trois ouvrages, le principe n'est plus pour moi une découverte. Et pourtant chaque nouveau salon reste un suspense qui se situe bien au delà de la fameuse interrogation "Vais-je signer ne serait-ce qu'un exemplaire du roman?"
Car que ce soit un "petit" ou "grand" salon, la règle du jeu est similaire : une salle, des sièges, des grandes tablées, des piles de livres et bienvenue au marché. On espère secrètement que sa daurade sera plus belle que celle du voisin, on vend son parapluie avec plus ou moins d'aisance, on piapiate entre habitués, on observe, le cœur battant, les habitants qui déambulent entre les stands et parfois, on sympathise. Parfois aussi, l'union fait la force et un écrivain vous met en valeur, vous, la moins connue.
Nous sommes devant le grand oral. Un oral qu'on a répété, studieusement. Mais rien ne se passe comme prévu.
Règle numéro 1 : les bénévoles tu chériras. Dans un salon, les écrivains sont pris en charge de A à Z : transport, logement, ripailles, nous sommes redevenus des enfants que l'on chouchoute pendant deux jours.
Des enfants anxieux et égoïstes. Les drames du Japon nous arrivent par bribes, étouffés par cette volonté un peu puérile de rencontrer des gens, de discuter autour de notre bébé à nous, ce monstre dont nous avons accouché et que nous allons défendre, vaille que vaille.
Une carte du tendre se dessine. A Annie, la bénévole qui nous apporte cafés et vin chaud: merci pour ces attentions, pour tout ce que vous avez organisé, sans doute depuis longtemps. La presse a fait son travail, l'évènement a été annoncé, la librairie "La Note bleue" nous parraine. Élèves studieux, nous avons pris nos marques derrière nos prénoms et noms.
Règle numéro 2 : le journal tu ignoreras. Ton portable aussi. Être invité à un salon suppose de rester vigilant à ce qui se passe autour de soi. Même si personne ne vous remarque et que l'attente est longue.
Règle numéro 3 : tes voisins tu ne snoberas pas. Les salons favorisent des rencontres au sein de la grande famille des publiés. Nous évoluons bizarrement dans un monde très hiérarchisé, valsant entre journalistes de la petite lucarne, écrivains à succès et anonymes qui rêvent de ne pas le rester.
Bon à savoir : le premier fantasme des Français est d'écrire. Avant la chanson ou le cinoche. Nous sommes un pays de lecteurs, contrairement à ce qu'on entend ici et là.
C'est aussi dans les salons qu'on réalise que parisianisme et régionalisme sont les deux facettes d'une même médaille avec ses codes, ses sectarismes, ses drôleries et ses excès. La snobinarde qui refuse de quitter la ville-lumière est aussi pitoyable que celui qui pontifie sur ses succès locaux, et pour lequel un bon écrivain est avant tout UN ÉCRIVAIN MORT.
Ma moisson perso des Pieux : à ma droite, Jeanine Boissard. Une romancière qui vit de sa plume et sait admirablement observer un lieu, parler avec tout le monde, se mettre en scène avec un culot de pro. A la regarder vanter sa nouveauté j'ai pris de la graine. A ma gauche, Pierre Bonte, le référent pour beaucoup de gens de "la grande époque du petit rapporteur". Il est aussi sympa avec les lecteurs qui s'approchent de lui qu'avec ses condisciples; pas pédant, toujours dans la bonne attitude, ni ramenard, ni lointain.
Sympathie immédiate aussi avec Xavier Milan, jeune directeur de la communication du Louvre qui publie un roman historique sur fond d'Égypte ptolémaïque. Œil clair et non dupe, Xavier a la gentillesse des grands.
Soudain, une femme s'approche de moi. Elle soupèse le roman, lance un sourire de connivence et me glisse : "ça m'intéresse". Elle s'appelle Dorothée. Ce sera ma première signature. Je peux vous le garantir, signer son livre est une émotion incroyable. On en redemande à vie, comme les vieux chanteurs qui ne détèlent pas. A celles qui ont pris un exemplaire ce weekend de Que reste-t-il de nos divorces, sachez qu'une signature est pour nous, bateleurs plus ou moins avenants, une minute suspendue, ineffable, la minute qui nous fait songer : "Je n'ai pas fait tout cela pour RIEN".
Baisers de la pine'up qui a une pensée particulière pour Éliane, l'indispensable attachée de presse des gamins gâtés que nous sommes...