Rédigé à 14:49 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
Le jour J est arrivé, Belles à tout prix sort en librairie aujourd’hui 1er juin. C’est un sentiment étrange de voir l’aboutissement d’une aventure. Je ne sais pas comment j’ai inventé une histoire pareille. Ce que je sais, en revanche, c’est que j’ai imaginé l’enfance de chaque personnage, jusqu’au plus infime d’entre eux, pour qu’ils soient crédibles et que les dialogues sonnent juste. Écrire une comédie est un des exercices les plus durs, surtout au niveau du rythme. Faire pleurer, c’est bien plus simple.
J’ai l’impression d’être une marionnettiste qui abandonne ses personnages. Je leur souhaite longue vie.
Dernière confidence : j’avais en tête une Maggie Smith fouineuse pour visualiser ma Bretonne Marie-Claude, chef de classe dans l’âme, et Kate Winslet en Isabelle, sa nouvelle amie. Il se passe de drôles de choses dans le spa andalou où elles ont atterri !
#bellesatoutprix #albinmichel
Rédigé à 18:01 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
Le récit de Camille Kouchner a été tant commenté deux jours avant sa parution que je pensais le lire en diagonale.
Au contraire de ce que j’imaginais, la précision du témoignage m’a beaucoup intéressée y compris dans son style (j’y reviendrai). C’est un court récit bien construit, divisé en trois parties et qui raconte l’explosion d’une cellule familiale aux adultes oscillant entre ricanements, crime, silence et insultes et aux enfants qu’on prive de transmission.
Le livre s’ouvre sur les funérailles de la mère et sur la description de jeunes quadragénaires désorientés qui s’identifient, loin des mondains et du beau-père, à un groupe de rock. L’image ne marche pas, c’est étrange... J’aurai la réponse à la fin.
La suite se déroule de manière chronologique, avec, au milieu du récit, la scène d’épouvante.
Camille Kouchner dresse le tableau d’une éducation sans écrire un seul jugement. Elle sait que pour qu’un témoignage ait de la force, c’est au lecteur de juger, pas à l’auteur. A nous de regarder cette pauvre famille.
Les médias parlent des parents proches, mais c’est plus grave : aucun parent ne tient debout, y compris la grand-mère.
Au delà du crime, nous sommes dans un environnement d’intellectuels qui s’encanaillent et qui trouvent très intelligent de passer ses vacances à poil devant les gamins en sifflotant dans un mauvais espagnol des airs révolutionnaires aux mélodies blaireaux-bigots tout en embrassant la grande enfance sur la bouche. Le premier mot qui me vient à l’esprit pour les qualifier est « ringard ».
Madame grand-mère, dont l’influence fut, semble-t-il, aussi toxique que celle d’Olivier et Evelyne, n’a qu’une idée en tête : enseignement et séduction tous azimuts. Dans la famille de Madame Grand-mère, les vieux ne meurent pas de maladie, ils mettent fin à leur jour. Le suicide est omniprésent. Ringards, ils le sont ces adultes des années 70 finissantes qui s’échinent à paraître flamboyants là où ils ne sont que pitoyables et ploucs. Leur propre révolte, que Camille décrit non sans admiration, m’apparaît très province et sans attrait. Il n’y a pas de beauté du diable. Les adultes ne se droguent pas en écoutant Dylan, Led Zep, Joplin ou Clapton ; ils picolent sur Julien Clerc ou les airs cucul des poètes sud-américains. Mais, suis-je bête, nous sommes en 87 et le banquet des gueux est passé. Pendant que les rock stars rangent leurs habits de lumière, que le mouvement punk est en train de disparaître, ne reste que le porno chic pour habiller les ors de la République.
J’ai connu ce milieu au début des années 2000 et j’ai été frappée par la justesse des descriptions de Camille Kouchner : j’avais été sciée par le manque de culture artistique de cette élite littéraire, nulle au niveau musical comme au niveau design. J’ai retrouvé cette impression de pèquenauds cérébraux pour lesquels seul le QI compte. Dans ces familles, le handicap cognitif est caché d’une manière bien plus monstrueuse que chez le Français moyen. Le plus incroyable est qu’ils se croient progressistes alors que ce sont des Louis-philippards en retard sur tout. Ces attardés nous ont gouverné, ces attardés nous éditent, d’où le malaise : ce sont eux qui créent les élites. Chez eux, pas de dernier de la classe. Mais chez eux, pas non plus de poésie ou de vraie créativité. Elle est même bridée par la mère, en dépit de ses postures bohèmes.
L’innommable est raconté avec pudeur, mais on sent la douleur qui grimpe jusqu’à la montagne finale.
La consolation vient du personnage de la fragile Marie-France Pisier, seule adulte à comprendre la gravité de la situation.
Le soulagement, lui, arrive avec l’énoncé de la Loi devant les jumeaux.
La Familia Grande est une déclaration d’amour à un frère - le vrai amour, celui-ci - et une question de survie pour son auteur. A la fin du livre, on comprend l’identification un peu artificielle au groupe de rock : hélas, on vous a volé cette identification, on vous a purement et simplement volé l’esprit de révolte.
Comment pardonner l’impardonnable lorsque les incriminés ne s’excusent pas ? Cette question cruelle hante le récit et ne trouve pas de réponse. La seule façon de s’en sortir est d’en faire le deuil.
Les phrases courtes, hachées, leurs terminologies en é donnent une impression de triste mélopée d’un livre dont on ne sait si on va le ranger dans la littérature enfantine ou la littérature classique. Une chose est certaine : non seulement il méritait d’être publié, mais c’est aussi un récit qui peut aider des parents face à la parole d’un enfant en détresse, qui peut aider à prévenir l’inconcevable.
Pour les coupables et ceux qui se sont tus : que votre nom n’existe plus.
Rédigé à 22:12 dans Actualité, Livres | Lien permanent | Commentaires (1)
Son nom balançait comme un air de rumba désuète, légère et gracieuse, et son sourire n'était que gaieté. L'homme a tout eu : l'enfance heureuse, les succès précoces des premiers de classe, le physique qui appelle la tendresse et le don d'observer la vie. Ce don précieux s'est exercé avec art dans la chanson. J'adore les textes des chansons écrites par Jean-Loup, ce sont des poèmes cachés sous les mélodies ; on peut les réciter sans musique, ils n'en sont que plus émouvants.
C'est sur des textes courts que Dabadie donnait le meilleur : une musicalité de la langue légère et cristalline, une originalité dans le choix des rimes, une fausse simplicité coulante, évidente, exquise de sensibilité.
Et puis l'homme, toujours bronzé, à la chevelure dense et vite blanchie qui encadrait un visage juvénile. L'ami idéal, le père idéal, le mari idéal, le gendre idéal, le travailleur idéal, le chouchou de l'enfance qui tient ses promesses de ne jamais déplaire et d'en taire le prix. Un Guitry de bonne humeur, si français, si charmant.
"Plaire, c'est faire plaisir" : vous ne nous avez pas déçus, irradiant nos tranches de vie de rires et de politesse, de textes qui ont largement mérité l'épée immortelle.
Que se passait-il, sous tant d'affabilité ? Sous la gaieté, première mélancolie, celle de l'adolescent trop en avance. Vous en parlez avec la précision des grands talents, racontant que votre précocité scolaire, bien loin d'être un atout, fut un cadeau empoisonné, un handicap qui a empêché l'intelligence de faire son travail de maturité et qui vous a conduit à être un brillant élève de mémoire plus que de puissance de raisonnement. Vous vous êtes aperçu à temps du piège pour vous jeter dans votre élément naturel, l'écriture.
Le charme de vos écrits est pétri de cette "avance en retard" qui vous a fait souffrir, mais qui, ici et là, parsème d'innocence votre sens de la poésie. Vous êtes-vous interdit à tort certains sujets ? Peut-être. Mais pour ceux que vous avez abordés, grâce vous soit rendue.
Impossible de vous voir octogénaire, impossible de vous savoir mort, vous êtes, pour l'éternité, des yeux clairs un peu tristes et un sourire de jeune premier.
Les princes charmants existent, en voici un qui s'appelait Jean-Loup Dabadie.
Rédigé à 15:21 dans Cinéma, Livres, Musique | Lien permanent | Commentaires (0)
Les épopées de quatre ou cinq tomes ne sont pas fréquentes, sous nos latitudes. Quand elles existent, les journalistes littéraires français ne se battent pas pour les mettre en valeur. Hélas. Ils croulent sous les ouvrages courts, alors une saga...
Et pourtant... Il y a douze ans, une jeune femme a créé La Passe-miroir dont le premier tome fut édité chez Gallimard jeunesse avant de se retrouver chez Gallimard tout court. Nous étions en 2013. Christelle Dabos, une trentaine d'années à l'époque, clouée à l'hôpital par un cancer de la mâchoire, a ouvert son imaginaire aussi puissant que corseté par ses douleurs physiques pour s'embarquer dans une légende, une quête allégorique sur fond de science-fiction. Avant de continuer la critique de ce bijou, je précise que je suis viscéralement allergique à la SF. Mais que je suis inféodée aux contes de fées. Et je suis tombée genou à terre devant ces livres que je qualifie plus de contes que de romans SF. Vendus à plus de 500 000 exemplaires depuis la parution du premier tome, primés en 2016 du prix Imaginaire Gallimard, traduits avec à la clé une avalanche de propositions de films, ces ouvrages, qui tiennent du phénomène littéraire, sont restés à l'abri, cachés des médias. Un best seller discret, oxymore à la française ? j'en reste sidérée.
Sans déflorer l'intrigue qui s'étire entre énigme policière et métaphores de la condition humaine, on peut tout de même parler des influences qui construisent le récit. Christelle Dabos s'inspire plus de Marcel Aymé que de Lewis Caroll, des contes de Perrault plus que de ceux des frères Grimm ou du baroque de l'Europe centrale. Il règne, dans l'univers créé par cette jeune écrivaine, un formidable sens logique, classique, Grand Siècle. Cadré. Je viens d'apprendre sans surprise que le père de la romancière est un spécialiste du XVIIe siècle français... Ces livres sont teintés d'or, mais d'un or cartésien. Le personnage principal est une jeune femme, Ophélie, qui tient à son aspect anodin, pudique, peu imaginatif, conservateur, presque incolore. Une des forces du livre est de plonger Ophélie dans un monde d'épreuves chaotiques. Au contact des situations terrifiantes qui jalonnent son parcours, Ophélie, au départ antipathique, un peu mesquine, s'ouvre, se dépasse, s'outrepasse tout en gardant son identité, sa fidélité à sa nature conservatrice. L'amour, très présent dans ces ouvrages, est abordé à la Mme de La Fayette : en filigrane, en esquisse, en ellipse, en intimité à protéger coute que coute. Les passages amoureux n'en sont que plus grandioses. Et le prix sera lourd à payer...
Christelle Dabos aborde le paganisme, la tentation de l'homme-dieu, la menace des totalitarismes - avec un totalitarisme très présent dans ces ouvrages, celui de la Science, celui de l'IA. Sur la planète de la jeune Ophélie on croise des humains et des dieux. Mais Dabos décale l'angle, rendant ses divinités fascinantes : le dieu du Nord, celui des Pôles, ne s'appelle pas Thor ou Odin, mais Farouk. Il a beau être un géant à la blancheur de marbre, son visage reflète une beauté molle, ultra sensuelle ; il n'est que sensualité, il est même prisonnier de ses sens, d'une tendresse hébétée qui tourne à vide. Sur l'arche de la connaissance, règne une Hélène de Troie hideuse et détraquée. Quant au personnage féminin allégorie de la beauté, il est associé à une guerrière maternelle. Tout est trouble, tout est raisonnement face au trouble. L'écriture est d'une précision calligraphique, avec des fulgurants moments de poésie. Entre réel et irréel, l'héroïne valse en funambule, sans humour, mais avec une curiosité aux aguets.
Le dernier tome, le tome quatre, qui clôt la série, est sorti juste avant les fêtes de noel. Je viens de terminer sa lecture avec un gout aigre-doux car la fin, à mon sens, n'est pas à la hauteur de l'aventure, même si Dabos va au bout de son idée. Ce que la série gardait en incarnation vire au cérébral pur, elle oriente son récit final vers la physique-chimie au détriment de la puissance littéraire. Comme si elle en avait assez de son personnage. Comme s'il était devenu trop lourd pour elle. Comme si elle le disséquait sur une table d'opération avant d'en finir au plus vite. En dépit de ce bémol, lisez cette saga séduisante comme une féérie de l'hiver, glacée et brulante, qui fait appel à la mémoire de nos sens, au dolorisme sublimé, à l'évasion par l'imaginaire quand il n'y a plus que lui pour nous sauver.
Rédigé à 20:10 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (1)
J’ai terminé « Soif » d’Amélie Nothomb au café, à midi. A coup de grandes gorgées d’eau, tout en me bouchant les oreilles pour éviter d’entendre la conversation odieuse de deux voisines de table.
Je lui donne le Goncourt sans la moindre hésitation; Nothomb est une romancière-née comme son compatriote Hergé est un narrateur né: elle partage avec lui le don de la ligne claire. Si on suit la définition de Colette (« il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne »), les pages de « Soif » possèdent la grâce vulgaire des grands talentueux. Contrairement à son habitude d’écrire de magnifiques premières pages puis, parfois, de s’essouffler et de bâcler un peu ses fins, Amélie bute sur le début, mais offre une conclusion en apothéose.
Ceux qui croient qu’écrire aussi simplement est facile se trompent: il faut des heures et des heures de travail pour offrir une écriture précise et limpide. A l’audace d’un tel sujet - se prendre pour Jesus, rien moins que ça - répond une drôlerie digne du Galiléen.
Champagne, chère Amélie. Il y a presque du Lubitsch dans votre Christ, c’est à dire du dépouillement là où tout le monde voit le rire.
Rédigé à 22:33 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (1)
J'envie celles et ceux qui n'ont jamais lu Changement de décor, Thérapie, La chute du British Museum, Un tout petit monde ou encore Jeux de maux. Ils ont la joie de découvrir un des romanciers anglais contemporains les plus doués pour la satire. Style solide, sens du dialogue parfait, drôlerie, loufoquerie, autodérision à tous les étages... Peut-être parfois un peu trop brillant, mais est-ce vraiment un défaut quand on possède un tel don pour la fluidité...
Acheter les nouveautés de Lodge est machinal, même si ses derniers ouvrages étaient moins amusants sans pour autant être mieux écrits.
Cette année, Lodge nous livre le premier tome de son autobiographie. Verdict : je ne sais trop quoi en penser tant l'exercice est différent de sa production habituelle.
Première surprise : la lecture est laborieuse, lourde, grise. Deuxième surprise : c'est carrément mal écrit. Lodge est né dans une famille modeste et catholique du sud de Londres. En général, les romanciers donnent un ton particulier à la description de leur enfance - c'est souvent la partie la plus réussie de leur ouvrage, la plus poétique. Là, à travers les descriptions ternes de parents pauvres mais aimants, on comprend que Lodge a eu une enfance heureuse, sans histoires, qu'il était déjà doué enfant pour l'écriture et qu'il a compris rapidement qu'il était fait pour cela. L'enfant grandit, va sans surprise dans une université littéraire, travaille avec acharnement, se marie jeune par amour et passera sa vie entre sa chaire à l'université de Birmingham, ses romans et sa vie de famille. Et c'est tout. Il rencontre des collègues "charmants", merveilleux", son meilleur ami a un "humour dévastateur", la petite famille passe un séjour idyllique aux USA dans les années soixante, sa femme est attentionnée, les deux sont catholiques progressistes, engagés de façon nuancée religieusement et politiquement. Ils sont aussi cultivés l'un que l'autre, et Lodge va nous disséquer chacun de ses examens avec une méticulosité qui frise l'ennui mortel (éloge de Joyce, intertextualité, de l'influence des romanciers catholiques dans la littérature anglaise du XIXe, etc). Si Lodge romancier a quelque chose de Goscinny, Lodge en tant qu'humain est bien plus proche d'Agnan. Né au bon moment est un livre de premier de classe avec les défauts du premier de classe : rien ne déborde, rien ne chante. Il n'y a pas de mélodie. La vie est aussi atone qu'aride. Elle se déroule presque uniquement autour des succès/échecs universitaires et littéraires. Un tout, tout petit monde... Un monde particulièrement verbeux, voire pontifiant et c'est presque gênant de lire Lodge pontifier à ce point, lui, si aérien dans ses romans... je me serais volontiers passée de phrases comme : " Je l'admirais pour cela, ou plutôt je m'émerveillais pour reprendre l'étymologie latine de ce mot".
A la page 478 à laquelle j'étais arrivée avec effort, j'ai enfin senti une émotion. Elle vient d'un drame que je ne veux pas dévoiler : "C'a a été pour moi un choc considérable. Je croyais être monté dans un ascenseur qui allait nous porter ma famille et moi à des niveaux de plus en plus élevés d'épanouissement, de plaisir et de bonheur, et soudain il venait de se bloquer de manière irréparable."
Mais cette émotion nous est refusée et on retombe dans la lutte pour les postes universitaires, les appels à l'éditeur, les amis sympas, le travail de construction d'un nouveau roman.
Ce livre n'a aucun intérêt pour un lecteur exigeant, il n'a ni style, ni poésie. Mais il a deux grandes qualités si on aime écrire: c'est un ouvrage très sincère. Et c'est aussi un livre qui montre à quel point le travail d'écriture est un travail ouvrier, artisanal, lent, discipliné, souvent lugubre, répétitif, banal, presque ingrat. Comme tout art. Ce livre montre aussi combien la base classique de Lodge lui a permis de tordre le cou à ce conservatisme naturel, et combien sa maitrise parfaite et souvent rébarbative de sa langue natale est son meilleur atout pour explorer la transgression, l'insubordination, l'ironie, le gag.
Je sors tout juste de ce gros ouvrage sentencieux, plus verrouillé que pudique, plus travaillé que véritablement écrit. Je suis allée au bout par respect pour Lodge, romancier enchanteur. Et je me suis posé la question : Lodge est devenu sourd il y a quelques années ; est-ce que cela a pu amenuiser ses facultés mélodiques, rythmiques?
Je quitte ce livre songeuse, un peu déçue, un peu triste. Mais par le pouvoir du souvenir, et pour les éclats de rires que Lodge m'a procurés, il conserve tout mon respect.
Rédigé à 00:56 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
Contrairement à la chanson de Gabin qui se souvient de sa jeunesse et de ses "je sais, je sais", je n'ai jamais su. Le doute est venu avec les 8 ans, chez moi. Tout était d'attaque pour ne jamais savoir, pour vivre avec l'inconfort : la maladie, une crainte trop jeune éprouvée. Le ton était donné pour aimer la nuance et l'étude, pour se réfugier au besoin dans les livres et le cinéma, pour fuir les excès. L'impertinence, oui. l'insolence, non. L'euphorie ne pouvait venir que de l'amour, parfois aussi, elle venait du travail bien fait.
La passion m'est étrangère, la dépression me fait horreur. Lorsque je sens roder des découragements qui s'y apparentent, je lutte de toutes mes forces, je me claquemure dans la beauté. Ou dans la chimie.
Je sais de moins en moins, je subis comme tout un chacun l'immédiateté des cauchemars mondiaux. Je pleure sur la tuerie d'Orlando, sur celle du couple de policiers abattus devant leur petit enfant ; la cour de récréation bruyante des réseaux sociaux s'approprie selon ses croyances et ses "savoirs" les drames, leur signification, leur symbole. Les indignations se fissurent au lieu de nous rapprocher. Les uns insisteront sur la tragédie homophobe, les autres sur la barbarie à l'encontre des policiers. Je ne regarde même plus les images des meurtriers, ça serait trop d'honneur à leur prêter.
Suis-je, moi aussi, sélective dans mes tristesses ? Non. Si, j'ai une révolte plus intense que les autres, une meurtrissure plus forte: tout ce qui touche à l'antisémitisme.
Je ne suis pas juive, hélas. J'aurais tant aimé l'être. Une religion sans prosélytisme. Le rêve. Une communauté tournée vers l'étude et la connaissance. Le rêve.
Pour moi, être juif, c'est être curieux. Aimer l'effort. Ne pas embêter les autres avec ses croyances. Vivre ses différences en paix et être de son temps.
Je ne sais pas, mais j'imagine que c'est ainsi : être juif, pour moi, c'est être obsédé par la connaissance, pas par le savoir. Et ça me va comme un gant...
Puisque la paix est impossible, je choisis les terrains sur lesquels je me sens bien.
Mon refuge actuel est le livre d'Edmund de Waal : Le lièvre aux yeux d'ambre.
L'histoire de la collection Ephrussi. Celle des netsukes. La délicatesse de ce livre, sa sincérité et sa grâce s'apparentent à un monde merveilleux : celui de l'art, celui qui transforme la possession en connaissance.
Je le déguste plus que je le dévore... Il économise les peines, il a le charme de la pudeur, celui d'une tristesse harmonieuse, d'une patience, d'une énigme à découvrir : comment les collections se font et se défont, comment trouve-t-on son identité dans la création d'un monde, comment on se souvient de sa famille, comment aussi on souffre pour elle.
Un livre délicieux, loin des cris actuels, ou plutôt loin des cris de haine et de jalousie qui ont toujours existé, mais qui n'avaient pas internet pour les propager dans la violence de l'immédiateté.
Rédigé à 13:20 dans Chose intime, Livres | Lien permanent | Commentaires (2)
Quand je m'ennuie, je me plonge dans un vieux John Irving et j'oublie tout. Du Monde selon Garp à Une prière pour Owen en passant par mon préféré (L'oeuvre de Dieu, la part du Diable) avec un détour par L'hôtel New Hampshire, Irving signifie electrocardiogramme détraqué des émotions : personne ne lui arrive au talon pour déclencher un rire énorme qui s'étrangle dans l'horreur ou le chagrin à la page suivante et inversement.
Et pourtant les histoires d'Irving, ce sont toujours les mêmes ressorts, toujours les mêmes obsessions : il y a toujours des enfants extra lucides, immensément généreux et sacrificiels, des tatoués, de tendres transsexuels, des religieux sympathiques, des animaux sauvages, des héros doux, fins et passifs, des orphelins, des femmes aux seins surdimensionnés, des rescapés du Vietnam, des pères qui ne devraient pas l'être, des mères qui ne devraient pas l'être, des acrobates et des catcheurs. Souvent aussi, il y a des ours. Dans le dernier, les ours ont été remplacés par des lions et des varans. Dickens à la foire du trône.
Ses deux romans précédents, plus noirs que d'habitude, ne m'avaient pas convaincue. Mais le dernier, Avenue des Mystères, renoue avec la puissance de sa grande époque : Irving est fantastique lorsqu'il se fait conteur d'histoires magiques qui font peur. Il rend la vie et la mort terrifiantes puis rassurantes, il rend les épreuves naturelles, il vous saisit entre présent et conditionnel : ET SI CA ARRIVAIT... champion de la dérision, il ne va jamais dans le dérisoire.
Sans dévoiler l'intrigue de l'Avenue des mystères, quasi calquée sur celle d'Une prière pour Owen, on peut juste dire qu'émerge de ce foisonnement le personnage de la petite Lupe, soeur imaginaire d'Owen Meany en plus sensible et tragique. Clé du livre comme Owen l'était du sien, sa stridence se mêle à une humanité quasi insupportable. Irving est un maitre digne de Rembrandt pour tracer en deux coups d'écriture des mini Jésus hystériques qui vous brisent le coeur tant ils sont vrais.
Irving n'est pas un champion des longues descriptions, ça n'est ni un calligraphe ni un esthète. Ce sont dans les dialogues que tout se joue. A toute allure il dresse les personnages puis les plonge dans l'action où leurs saillies verbales les structurent, les illuminent. A vous d'imaginer leur apparence, souvent succinctement dépeinte. C'est dans la voix de Lupe ou dans celle de Juan Diego qu'on saisit leur nature.
Avenue des Mystères est construit méticuleusement en flash backs, comme un Columbo de génie ; la fin, on la connait vite. Mais l'intérêt réside dans la reconstitution des faits, et Irving va nous faire naviguer entre le Mexique et les Philippines pour nous faire comprendre COMMENT tout ceci a pu avoir lieu et POURQUOI le héros, sorte de caméra subjective de la vie, en est arrivé là.
Les passages mexicains sont bien supérieurs aux passages philippins, mais ce serait aller un peu vite en besogne de minorer ces derniers : ils sont la respiration nécessaire à prendre pour plonger dans l'Amérique centrale, ses déchèteries, ses églises et ses cirques. Les aventures mexicaines sont si tendues, si convulsives qu'il faut leur ménager des pauses.
J'aime autant les livres que je me méfie des émissions qui leur sont consacrées. J'ai quand même regardé La Grande Librairie avec Irving. J'ai réussi à ne pas m'étrangler d'indignation devant le parterre qui lui était proposé : face au géant aux yeux de charbon, dense, penché en avant sur son siège pour mieux capter les autres, se vautrait un Régis Debray bien adossé à son fauteuil comme un vrai Pécuchet, tout de suffisance bue, incapable de résister à une leçon de morale anti US et à une petite analyse critique de ce qu'est un intellectuel, c'est à dire un crétin, notion qu'il réfutait pour lui et dont pourtant il avait tous les codes (morale, parlote sans fin, égocentrisme). Ce que Busnel, un peu agacé sans doute, a souligné dans un sourire affable - Debray a sursauté sous l'insulte mais n'a heureusement pas eu le temps de tenter de s'absoudre de ses péchés.
Irving s'est contenté de répondre à la diatribe anti US d'une manière aussi laconique que cinglante : les USA, ça n'est pas UN pays; ce sont DES pays.
Avenue des Mystères, ce n'est pas UNE histoire. Ce sont DES histoires. Et pour moi, ça rend les auteurs américains indispensables.
Rédigé à 10:46 dans Livres | Lien permanent | Commentaires (2)
Peut-on lire le monde sous le prisme du design ? C'est en tout cas un prisme sous-estimé... Car il englobe à la fois la culture générale, l'esthétique, l'identité d'un pays, sa capacité de rebond, son folklore, bref, un condensé de mélanges tous plus intéressants les uns que les autres.
Avant de créer ma boutique de décoration appelée pompeusement concept store, mais je ne trouvais pas d'autre mot pour qualifier un endroit qui vend aussi bien des meubles que des serre-livres, des maisons d'architectes en plâtre, des tee-shirts, des sacs, des cartes postales, des bouquins, des épices, des bougies et bijoux etc etc... avant de créer YOK concept store dans ma ville chérie de Boulogne-Billancourt, donc, j'ai effectué un long voyage virtuel. UN VRAI TOUR DU MONDE sous un angle que je garde jalousement - je ne tiens pas à ce qu'on me pique cet angle.
Ce tour du monde m'a pris un an et demi. J'ai visionné des milliers de pages (environ 40 000).
Ma boutique, YOK, en est son aboutissement et sa digestion. Que tirer de ce tour du monde ? Y a-t-il des pays avantagés, des pays plus doués que d'autres? Oui.
En numéro un, et sans surprise de ma part, les USA. A croire que créativité rime avec libéralisme et multiculturalisme, car il y a chez les Américains une capacité à utiliser les technologies du futur tout en puisant dans son jeune passé pour faire exploser l'imagination. Aux US, il y a une fantastique culture du design, accessible à qui manie le net.
En numéro deux, l'Europe - je tiens au mot Europe en dépit des disparités entre les pays. Cinq pays tiennent le haut du pavé : le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Espagne et les Pays-Bas. Toujours selon mon précieux angle, le Portugal et la République Tchèque les talonnent, l'Italie, en revanche, a chuté, mais elle donne des signes de reprise. Les pays baltes deviennent très étonnants. Les Scandinaves stagnent, prisonniers de leur mode austère.
La Turquie est aussi un pays passionnant : Istanbul est un condensé de cette fameuse équation passé/présent/futur. Israel est aussi un vivier de pépites avec un atout extraordinaire : la maitrise parfaite de la technologie, mais une petite faiblesse, pas assez de recherches au niveau des volumes des produits, pas assez de "liant".
Il y a même, dans ce tout du monde, des choses pas politiquement correctes... Sont gagnants, dans les pays émergents, ceux qui ont digéré leur colonisation. Sont perdants ceux qui restent repliés sur eux-mêmes, ou ceux qui ont un très lourd passé totalitaire de dictatures. La Russie, eu égard a sa taille, n'est pas passionnante. La Chine s'éveille, mais la notion de copie y est trop imprégnée encore.
L'Afrique du Sud, le Brésil, une certaine Inde et le Japon sont époustouflants.
Le commerce équitable donne le meilleur et le pire, mais quand c'est le meilleur, crise ou non, il a un prix.
Les pays du Golfe n'ont aucun intérêt (pour le moment).
Revenons à la France : elle déploie en ce moment tout son savoir, tout son perfectionnisme, toute son impertinence, tout son incroyable sens de l'harmonie à défaut de sa hardiesse (nous ne sommes pas un pays hardi, nous sommes un pays luxueux et ultra raffiné). Pour preuve : La Faiencerie Georges (en vente chez YOK) qui a dépoussiéré les petits noeuds roses des faïenceries nivernaises pour imposer un travail sur céramique dont les Japonais sont fous.
Pour preuve, la poésie d'un inventeur, Nicolas Trub, qui invente en France de drôles d'objets du quotidien, squate les concours Lepine, et parle de son aventure d'inventeur dans un livre aussi intéressant qu'hilarant (en vente chez YOK).
Nom d'une libérale attachée aux cultures du monde entier : j'adore la mienne, je la connais bien et cela me permet d'adorer les autres. Je ne me sens ni réactionnaire, ni déprimée.
Créer une boutique à Boulogne-Billancourt plutôt qu'à Paris ? Boulogne, c'est mes racines. La ville qui a vu s'épanouir mes amours d'ado, puis l'amour absolu pour mon mari. Elle n'est pas cosmopolite ? Pas encore, mais avec ses cabinets d'archi et ses boites de prod', elle possède une clientèle curieuse de design. Rester à Boulogne, oui. Mais aussi parcourir le monde - et pas que virtuellement...
Ne jamais se résigner, toujours être optimiste, souhaiter prospérité à la France POUR QU'ELLE PROFITE DE SON LUXE, un peu comme les Américains le font, et rester dans la poésie, en dépit du monde féroce du commerce. Voilà ce que je me souhaite pour les années à venir, nom d'une duchesse d'YOK.
J'en profite pour remercier celles et ceux qui me donnent envie d'avancer : les clients, les amis, les Grands Amis, les sensibilités du monde entier, les facebookiens, toutes celles et ceux qui me donnent envie d'être attentionnée car ils s'ouvrent comme des fleurs au monde de demain, sans renier le monde d'hier, gardant leur liberté qui leur permet de s'écarter des conventions.
Comme le proclame Rudy Ricciotti dans ce poster (en vente chez YOK, ter, je pense aussi à mon commerce...) : L'architecture est un sport de combat.
Rédigé à 15:37 dans Déco, Livres | Lien permanent | Commentaires (0)