Son nom balançait comme un air de rumba désuète, légère et gracieuse, et son sourire n'était que gaieté. L'homme a tout eu : l'enfance heureuse, les succès précoces des premiers de classe, le physique qui appelle la tendresse et le don d'observer la vie. Ce don précieux s'est exercé avec art dans la chanson. J'adore les textes des chansons écrites par Jean-Loup, ce sont des poèmes cachés sous les mélodies ; on peut les réciter sans musique, ils n'en sont que plus émouvants.
C'est sur des textes courts que Dabadie donnait le meilleur : une musicalité de la langue légère et cristalline, une originalité dans le choix des rimes, une fausse simplicité coulante, évidente, exquise de sensibilité.
Et puis l'homme, toujours bronzé, à la chevelure dense et vite blanchie qui encadrait un visage juvénile. L'ami idéal, le père idéal, le mari idéal, le gendre idéal, le travailleur idéal, le chouchou de l'enfance qui tient ses promesses de ne jamais déplaire et d'en taire le prix. Un Guitry de bonne humeur, si français, si charmant.
"Plaire, c'est faire plaisir" : vous ne nous avez pas déçus, irradiant nos tranches de vie de rires et de politesse, de textes qui ont largement mérité l'épée immortelle.
Que se passait-il, sous tant d'affabilité ? Sous la gaieté, première mélancolie, celle de l'adolescent trop en avance. Vous en parlez avec la précision des grands talents, racontant que votre précocité scolaire, bien loin d'être un atout, fut un cadeau empoisonné, un handicap qui a empêché l'intelligence de faire son travail de maturité et qui vous a conduit à être un brillant élève de mémoire plus que de puissance de raisonnement. Vous vous êtes aperçu à temps du piège pour vous jeter dans votre élément naturel, l'écriture.
Le charme de vos écrits est pétri de cette "avance en retard" qui vous a fait souffrir, mais qui, ici et là, parsème d'innocence votre sens de la poésie. Vous êtes-vous interdit à tort certains sujets ? Peut-être. Mais pour ceux que vous avez abordés, grâce vous soit rendue.
Impossible de vous voir octogénaire, impossible de vous savoir mort, vous êtes, pour l'éternité, des yeux clairs un peu tristes et un sourire de jeune premier.
Les princes charmants existent, en voici un qui s'appelait Jean-Loup Dabadie.
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