Contrairement à la chanson de Gabin qui se souvient de sa jeunesse et de ses "je sais, je sais", je n'ai jamais su. Le doute est venu avec les 8 ans, chez moi. Tout était d'attaque pour ne jamais savoir, pour vivre avec l'inconfort : la maladie, une crainte trop jeune éprouvée. Le ton était donné pour aimer la nuance et l'étude, pour se réfugier au besoin dans les livres et le cinéma, pour fuir les excès. L'impertinence, oui. l'insolence, non. L'euphorie ne pouvait venir que de l'amour, parfois aussi, elle venait du travail bien fait.
La passion m'est étrangère, la dépression me fait horreur. Lorsque je sens roder des découragements qui s'y apparentent, je lutte de toutes mes forces, je me claquemure dans la beauté. Ou dans la chimie.
Je sais de moins en moins, je subis comme tout un chacun l'immédiateté des cauchemars mondiaux. Je pleure sur la tuerie d'Orlando, sur celle du couple de policiers abattus devant leur petit enfant ; la cour de récréation bruyante des réseaux sociaux s'approprie selon ses croyances et ses "savoirs" les drames, leur signification, leur symbole. Les indignations se fissurent au lieu de nous rapprocher. Les uns insisteront sur la tragédie homophobe, les autres sur la barbarie à l'encontre des policiers. Je ne regarde même plus les images des meurtriers, ça serait trop d'honneur à leur prêter.
Suis-je, moi aussi, sélective dans mes tristesses ? Non. Si, j'ai une révolte plus intense que les autres, une meurtrissure plus forte: tout ce qui touche à l'antisémitisme.
Je ne suis pas juive, hélas. J'aurais tant aimé l'être. Une religion sans prosélytisme. Le rêve. Une communauté tournée vers l'étude et la connaissance. Le rêve.
Pour moi, être juif, c'est être curieux. Aimer l'effort. Ne pas embêter les autres avec ses croyances. Vivre ses différences en paix et être de son temps.
Je ne sais pas, mais j'imagine que c'est ainsi : être juif, pour moi, c'est être obsédé par la connaissance, pas par le savoir. Et ça me va comme un gant...
Puisque la paix est impossible, je choisis les terrains sur lesquels je me sens bien.
Mon refuge actuel est le livre d'Edmund de Waal : Le lièvre aux yeux d'ambre.
L'histoire de la collection Ephrussi. Celle des netsukes. La délicatesse de ce livre, sa sincérité et sa grâce s'apparentent à un monde merveilleux : celui de l'art, celui qui transforme la possession en connaissance.
Je le déguste plus que je le dévore... Il économise les peines, il a le charme de la pudeur, celui d'une tristesse harmonieuse, d'une patience, d'une énigme à découvrir : comment les collections se font et se défont, comment trouve-t-on son identité dans la création d'un monde, comment on se souvient de sa famille, comment aussi on souffre pour elle.
Un livre délicieux, loin des cris actuels, ou plutôt loin des cris de haine et de jalousie qui ont toujours existé, mais qui n'avaient pas internet pour les propager dans la violence de l'immédiateté.
Aujourd'hui, il pleut. Il a plu tout le printemps, mais ce n'est qu'un désagrément. En l'an de grâce 1315, il fit le même temps, les récoltes furent mauvaises et la famine s'ensuivit. Nous ne risquons plus la famine, il y a toujours de bonnes récoltes quelque part.
Quand le spleen me prend, quand les mauvaises nouvelles ou les horreurs font la une des journaux, je pense à mon grand-père, homme doux et si peu violent, qui à vingt ans se prenait des dégelées d'obus à Verdun ou au Chemin des Dames, et que rien ne pouvait départir de sa bonne humeur. Le souvenir de son sourire me calme et me rassérène.
Rédigé par : Le Nain | 20 juin 2016 à 15:26
Voir des gens heureux me calme et me rassérène... Ceux qu'on appelle "les bonnes natures". En revanche, je n'ai plus la force de supporter les geignards... je crois qu'ils m'en veulent, mais je suis désolée, je ne peux plus.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 21 juin 2016 à 13:37