Coupe du monde de rugby 1995. Afrique du sud. Mandela aux commandes, depuis quatre petites années. Coupe hautement symbolique, sous tension maximale.
Eastwood s'empare d'un livre, "playing the enemy" pour décrire la puissance de la ferveur sportive, sa capacité à rassembler (souvenez-vous de la liesse du mondial 1998) et l'utopie filoute d'un Mandela bien décidé à faire gagner son pays.
Film loupé à sa sortie et visionné ce soir en DVD.
Eastwood, digne héritier de Don Siegel, dont j'aime la patte nerveuse, rythmée, nous inflige ici une lente mélopée phraseuse aux bruitages épouvantables - chocs des mêlées faisant penser aux uppercuts dans "Rocky", placages évoquant les flingues des "Barbouzes" (thub, thub). Le manichéisme est total, à la fin tout le monde s'embras(s)e comme un seul homme, dans une harmonie salvatrice.
Le rugby est filmé comme l'armée du colonel Hatty du "Livre de la Jungle".
Lent. Lourd. Pesant. Aux antipodes des envolées surréalistes, des déploiements magistraux qui ponctuent ce sport à la grâce paradoxale.
Passons sur la réalité : sur les 8 joueurs Sud-africains déclarés positifs au dopage mais jamais inquiétés. Passons sur le match dantesque en demi-finale contre la France, sous une pluie battante (match qui n'aurait jamais dû être joué dans de telles conditions) et à l'essai refusé de Benazzi. Passons sur la curieuse épidémie de gastro parmi les All Black à la veille du jour J. L'Afrique du Sud devait gagner, imprimons donc la légende.
Film médiocre mais, mais, mais...
Symbole fort. On ne donnait pas cher de l'Afrique du sud, avec ses haines, ses horreurs, son racisme. On ne donnait pas cher du pouvoir entre les mains de Mandela.
Non que la situation soit aujourd'hui idyllique mais Mandela n'a pas été assassiné, comme Sadate ou Rabin. Combien voulaient sa peau... une foultitude. Sortir de 27 années de taule et citer ceci :
..." Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu'on m'accuse et qu'on
me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme".
(extrait du poème victorien "Invictus"de William Henley -1875- écrit après son amputation du pied).
Sortir des ténèbres et enfiler le maillot honni par les Noirs, le maillot vert et doré de la puissance Afrikaaner... une mue digne d'un phoenix, une stratégie ô combien payante.
C'est à peu près comme si les présidents Palestiniens et Israéliens s'embrassaient pendant un match de foot.
Dans un monde qui ne croit plus en rien, les stades sont nos nouvelles cathédrales. C'est peut-être triste, mais c'est ainsi. Au passage, je m'interroge, comme Môssieur Resse, de l'influence de l'ultra-laïcité au sein du Front National.
Donc, contrairement aux critiques acerbes entendues ici et là sur notre équipe de foot, à la veille du Mondial sud africain je les encourage vivement à gagner la coupe (faites gaffe, les gars, à ce que vous buvez là-bas) car si cette victoire peut atténuer les communautarismes au profit des communautés, peu importe le flacon pourvu qu'il me donne cette ivresse.
J'ai adoré la victoire de 98. J'ai hurlé de joie pendant la finale, et après, longtemps, longtemps. Le sourire de Zidane, la fierté du pays, toutes ces conneries je les ai gobées. Visiblement je n'ai pas été la seule.
Détail assez drôle : en 98, je me reconstruisais pas à pas après une période dramatique, aidée par une thérapie qui touchait à sa fin. Depuis quelque semaines j'avais noté que c'était moi qui remontais le moral du psy et non l'inverse. Après la victoire je me suis rendue chez lui, le visage illuminé : "quelle victoire !
- Ne m'en parlez pas, toute cette vulgarité ! ", répliqua-t-il, sombre comme un ciel de janvier.
Ce fut la dernière séance.
Mon souhait ? Que les pays déchirés par les parties adverses qui empoisonnent les générations futures de messages barbares jusque dans leurs fœtus trouvent des dirigeants de l'intelligence d'un De Kleerk et d'un Mandela (ne pas sous estimer le panache, l'influence du premier).
Et ne croyez pas que je réduise la politique à un ballon rond ou ovale, je suis naïve mais pas à ce point là. Je pense juste qu'il faut toujours garder au fond de soi une bienheureuse innocence, inconscience, rêverie - appelez -la comme vous voulez -, une aptitude à se réjouir des festivités, aussi puériles soient-elles.
"Au plumard!" tonne Ingalls ; oui, captain.
Baisers d'une pine'up qui croit aux miracles.