Extraits de l'interview donné par les Rita à Télérama en 2007. Vous remplacez le nom de Renaud par Noah (ou Biolay) et vous vous apercevez que l'état d'esprit est le même dans l'hexagone. Ah, s’il pouvait y avoir plus de Chichin en France… Je fonde de grands espoirs sur les enfants de Fred et Catherine.
« Variéty est enfin le disque plus épuré que vous annonciez depuis
toujours.
Fred
Chichin : On
a surtout retrouvé un état d’esprit. Tout au long des années 90, on a été un
peu largués. C’était l’époque du grand métissage, et on a commencé à mélanger
un peu tout. Ça n’a rien donné. Ce n’est pas parce qu’on met un bassiste de
funk, une guitare acoustique et un batteur chinois que c’est forcément plus
intéressant. On y a juste perdu la pêche qu’on avait aux débuts des années 80.
On s’est fait piéger par le musicalement correct français.
Mais ce
métissage a commencé dès vos concerts il y a vingt ans, non ?
Fred
Chichin : Au
départ, on a pris des musiciens américains parce qu’on ne trouvait pas de
Français qui « groovaient » comme on le souhaitait. Dès qu’ils swinguaient un
peu, c’était des jazzmen, ce qu’on ne voulait pas non plus. C’est drôle, les
gars avec qui on joue aujourd’hui étaient encore ados à l’époque de C’est comme
ça. Et c’est la première fois que je m’entends bien avec des musiciens
français. Malgré le décalage de génération, on a les mêmes racines musicales…
Avec eux, j’ai retrouvé ce que j’aimais profondément : la musique occidentale,
tout bêtement. Pendant des années, je m’en suis éloigné. C’est toujours
intéressant intellectuellement d’explorer, de chercher ailleurs, mais au niveau
du résultat artistique, ça l’est assez peu. Quand je repense à tous les bidouillages,
les prises de tête pour utiliser tel son ou tel instrument parce que c’était la
mode. On se retrouvait avec un plat sur lequel on entassait la mayonnaise, le
ketchup, trois cornichons… Comme on n’est pas nuls, il y avait toujours trois
bonnes chansons, mais dans l’ensemble, c’était des assemblages d’éléments de
l’air du temps. Et je trouve que presque toute la musique actuelle n’est que ça
! J’entends très peu de choses spontanées, qui jaillissent d’une vision
personnelle.
Les
Rita Mitsouko, groupe des plus singuliers et déterminés, n’ont pas pu résister
à la pression ?
Fred
Chichin : C’est
dur d’aller contre la société dans laquelle on vit. Surtout quand on fait de la
musique. Les ambiances dans lesquelles on baigne nous imprègnent forcément. Il faut
accomplir un effort considérable pour faire un retour sur soi-même et revenir aux choses essentielles.
C’est tout l’inverse du message ambiant de l’échange, du brassage, de l’écoute
de l’autre qui, artistiquement, dilue tout. Il faut arrêter avec l’intellectualisme
et revenir au physique.
Comment
s’est faite la rencontre avec Catherine Ringer ?
Fred
Chichin : Catherine
était ce que je cherchais depuis toujours. Une chanteuse. Quand je l’ai
trouvée, je savais que c’était bon. En premier, j’avais craqué sur la fille. Il
y avait une affiche pour un spectacle avec elle en gros plan. J’ai auditionné
pour être musicien, je l’ai vue, elle chantait super bien. Après, il ne me
restait plus qu’à lui démontrer que ce qu’elle faisait était nul. Je l’ai donc
débauchée. On est partis, les autres ont pleuré mais c’est comme ça : ils
étaient mauvais… J’étais fasciné par les chanteuses de rock, j’adorais
Jefferson Airplane et Janis Joplin. Il y a toujours une dimension supplémentaire par rapport aux mecs. Mais
il y a peu de chanteuses parce que les mecs font peu d’efforts pour cerner,
s’accorder à la sensibilité des femmes.
Votre
passion pour la musique remonte à loin ?
Fred
Chichin : La
musique, c’est ma vie, depuis toujours. Elle m’a sauvé. J’habitais à
Aubervilliers, dans une tour qui donnait sur des toits et des usines. J’étais
un gamin un peu fantasque, plongé dans Jules Verne. Tout jeune, j’étais
confronté à une contradiction flagrante : mon père était un communiste fou de
westerns. Il était critique de cinéma mais, à cause de ses convictions, il
voyait les westerns en cachette. Parce qu’officiellement il fallait détester le
western américain, pur produit de l’idéologie impérialiste US. Quand on va voir
des westerns avec son père en douce, comme si c’était un crime, on a vite un
peu de mal avec le communisme. Sinon, mon père fréquentait les situationnistes,
j’ai lu Marx, Aron, etc. Autant dire que j’ai appris le nihilisme et cette
culture de se construire dans la haine de ce que l’on est. Tout ce qui n’était
pas blanc était formidable, tout ce qui était blanc était mal. J’ai été élevé
là-dedans. Il fallait admirer les Black Panthers. Toute la musique que j’aimais
était honnie, jugée décadente, impérialiste. La seule musique admise, c’était
Le Chant des partisans. Il fallait toujours que je défende mes goûts, que je me
batte pour eux.
Pour
reprendre un de vos titres emblématiques, Y a d’la haine…
Fred
Chichin : Exactement.
Notez que ça fait un moment qu’on l’a écrite, cette chanson. Chez les Anglo-Saxons, la
haine a toujours été la source du meilleur rock, des Stones aux Stooges. C’est
pour ça que le rock n’a jamais marché en France. Du moins, le vrai,
l’authentique. Le rock original est devenu le twist, le rap est devenu le rap à
l’eau, ou le rap débilo-facho primaire. Je suis un fan du rap US de la première
heure, celui qui avait autre chose à dire que « bande d’enculés, on veut plus
de sous ! ».
Pourquoi ce
titre d’album, Variéty ?
Fred
Chichin : Variéty, ça signifie diversité et non
pas soupe uniforme. C’est aussi un clin d’œil à la variété française d’avant,
celle d’un Claude François : je ne l’appréciais pas spécialement, mais, comme
tout le monde, je l’entendais à la radio. Joe Dassin, aussi. Moi, j’aimais les
Beatles ou les Rolling Stones, mais il faut reconnaître que c’était écoutable.
Ces types savaient jouer du piano ou de la guitare, chanter. Ils connaissaient
leur métier. On a perdu ça, je crois. Cloclo, il a eu du succès parce que
c’était un super danseur et il avait un très bon répertoire. Ce n’était pas
dur, il pompait le « top 10 » américain de chez Motown. Sauf que, maintenant,
j’en connais plein qui pompent tout autant les Américains, le R’n’B et
compagnie, et c’est affligeant… De toute
façon, en France, il y a qui ? Philippe Katerine, Rachid Taha, et puis Etienne
Daho. Ils font ce qu’ils disent et ce qu’ils veulent. Ils ont tout mon respect.
Mais Manu Chao, non, par exemple. Ce n’est pas un musicien. C’est un politique.
Comme Renaud. Ils prennent la musique en otage pour faire du militantisme. La
musique, c’est un paillasson sur lequel ils s’essuient les pieds. Derrière, je
n’entends qu’une bande de suiveurs qui se préoccupent de préserver leur pré
carré. La musique, c’est
un vrai travail et c’est dur. Mais en France, on ne travaille pas, on se
contente d’un tout petit niveau musical. Je trouve terrible qu’on
accorde moins de crédit à Daho qu’à des types comme Doc Gynéco ou JoeyStarr.
Vous
avez pourtant fait un duo avec Gynéco, non ?
Fred
Chichin : Ah,
oui, bien sûr, quelle créativité ! « Ah si j’étais riche, lalalalalala. » Le
discours d’un Gynéco peut se résumer ainsi : « Si j’étais riche, je
m’achèterais une Porsche et je t’emmerderais, bâtard. » Je les connais bien ces
types, j’ai travaillé avec eux. Je suis resté deux mois avec une quarantaine de
rappeurs. C’est édifiant sur le niveau et la mentalité… Le rap a fait énormément de mal à la scène
musicale française. C’est une véritable catastrophe, un gouffre culturel. La
pauvreté de l’idéologie que ça véhicule : la violence, le racisme anti-Blancs,
antioccidental, antifemmes… C’est affreux.
D’où vient cette passion
pour Léo Ferré ?
Fred
Chichin : J’ai
été subjugué vers l’âge de 14 ans. Ma base, ce sont les Beatles, Léo Ferré et
Prokofiev. J’écoutais autant Ferré en boucle que les Beatles. Brassens aussi,
mais ce sont les textes de Ferré qui m’ont marqué. Une chanson comme La
Solitude, avec cette idée : « Il faut aller laver ce qui nous reste de
conscience dans les laveries automatiques », c’est formidable. Il avait tout
compris. Si on a vraiment eu un grand artiste dans la musique populaire,
visionnaire, capable de s’exprimer aussi bien seul au piano, avec un groupe de
pop électrique ou un grand orchestre, c’est lui. Il composait, écrivait les
arrangements et était un immense poète. Léo Ferré devrait être reconnu comme un monument
culturel. Eh bien non. En France, on préférera toujours Renaud. Ferré est haï,
c’est normal, car personne ne détestait plus que lui l’establishment. Et
l’establishment le lui rend bien. Renaud, lui, il a tout bon : il est
antiaméricain, il est contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est
contre. Il suffit d’aussi peu pour toucher un maximum de gens en France.
Marcia baila ou Les Histoires d’A. interprétés à la Nouvelle star, ça vous fait quoi
?
Fred
Chichin : Rien
à cirer. On sert juste d’alibis culturels, de garants de crédibilité. Même aux
Restos du cœur, ils ont joué une chanson des Rita. C’est pareil. Ça la fout mal
si on n’y figure pas. Pour eux, ça donne une illusion d’ouverture. C’est
toujours un peu de crédibilité de gagnée. Mais je ne suis pas naïf. Je connais
toutes les combines, toutes les manipulations. »
Baisers de la pine’up qui ne se sent plus toute seule (Ingalls non plus)