Je viens de relire toute la série des Blake et Mortimer, encore une madeleine de l'adolescence.
Du Secret de l'Espadon à la Malédiction des trentes deniers le charme agit toujours, mélange de raideur, de nervosité, de désuétude et de précision sombre, toute masculine.
De cette série classieuse et un peu trop bavarde (les didascalies envahissent parfois l'image) je retiens ce curieux constat : l'auteur, Edgar P. Jacobs, a réussi à introduire une incroyable sensation de mystère dans ses albums, mystère que n'atténue pas la minutie quasi névrotique de son travail. Voici une bande dessinée nette, très claire, très cadrée, mais néanmoins enchanteresse, énigmatique, peuplée de sous-sols aux mille vertiges.
Vite, old chap, allons au Centaur Club déguster de mini sandwichs au concombre, des cakes au citron moelleux et des rasades d'alcool viril entre deux batailles pour sauver l'univers...
Blake et Mortimer m'aimante en ce moment: cette lecture m'injecte un bon instinct de combat, me rappelle la valeur de l'amitié et également celle de la pudeur.
Je ne saurais dire quel est mon album préféré. Bien sur, il y a la mythique Marque jaune et ce Mystère de la grande pyramide qui a été un des éléments déclenchants de ma passion pour l'Egypte ancienne.
Mais le plus intéressant réside dans la postérité d'Edgar P.Jacobs : les albums postérieurs à sa mort sont en effet d'une très belle qualité et gardent intacte la "patte" du maître.
Pour avoir plus de renseignements sur Jacobs, cliquez là. Sinon, je me souviens avoir lu une biographie du maître il y a une dizaine d'années, biographie assez triste, portrait d'un solitaire minutieux habitant une sombre demeure en Belgique dans un coin qui s'appellait je crois "le bois du pauvre homme". Il en ressortait que Jacobs était un mélange d'orgueil et d'humilité, qu'il ne vivait pas sans cape ni sans noeud papillon, qu'il aurait rêvé être chanteur d'opéra et qu'il faisait partie du premier cercle des dessinateurs de l'équipe d'Hergé. Jacobs a connu un immense succès tardivement. Cela serre le coeur: son succès est arrivé TROP TARD. Il n'avait plus la faculté d'aimer l'existence pour en profiter.
Il est mort en 87 et, heureusement, de grands dessinateurs/scénaristes ont continué son travail. Blake et Mortimer vivent toujours (deux albums en préparation pour 2012 et 2013), à ma plus grande joie.
Jamais je n'ai réellement compris l'attitude d'Hergé, cette volonté que Tintin soit enterré avec lui. C'est la partie d'Hergé qui me fait de la peine, que je juge un peu minable et qui trouve sa sèche apothéose dans le musée Hergé situé à Louvain-La Neuve qu'Ingalls et moi avons visité, un peu perplexes, il y a un mois. Le musée Hergé n'est pas un musée Tintin. C'est le musée HERGE, le musée à la gloire de Georges Rémi. Il est très beau, certes. Mais il cache ce qu'il y a de plus précieux dans la bande dessinée, son caractère souvent collectif, la richesse du travail d'équipe, l'apport indispensable des collaborateurs, des coloristes, etc.
j'ai toujours été attristée par le fait qu'Hergé n'ait jamais mentionné le nom de ses collaborateurs sur ses albums, celui de Jacobs, de Bob de Moor, de tous ceux qui ont aussi fait Tintin, activé les leviers de l'histoire lorsqu'Hergé se débattait dans de noires dépressions. A l'opposé d'un André Franquin qui lui, en plus d'être génial, a toujours cité ses pairs (Will, Jidehem, etc), lesquels l'aidaient dans la mise en place des gags ou dans les décors.
By Jove, Monsieur Jacobs, non seulement je rends hommage à votre oeuvre, mais aussi à votre inestimable apport à la beauté hergéenne.
Baisers de la pine'up qui a beaucoup de mal avec l'ingratitude.
PS: hommage également à Bob de Moor,Ted Benoit, Jean Van Hamme, Yves Sente, André Juilliard, René Sterne, Chantal de Spiegeleer (hommage spécial à Chantal qui a continué le tome 1 de la Malédiction des trente deniers dans de douloureuses circonstances) et Antoine Aubin. Grâce à vous tous, Francis Blake et Philip Mortimer sont immortels. Olrik aussi, le misérable... "Par Horus, demeure!"