J'ai plongé dans Damages et Dexter comme naguère dans 24h. Qui parle d'inculture ? Après Euripide et Racine, les héros ont trouvé une nouvelle vie de l'autre côté de l'Atlantique. Ces trois séries racontent finalement une même histoire : on ne gagne jamais. Ou plutôt, chaque victoire laisse une trace. Thésée/Jack Bauer, même combat. Patty Hewes, nouvelle Electre. Dexter... Oedipe ?
Les trois séries sont ciselées autour d'un seul personnage qui mène le bal. Et les deuxièmes couteaux, souvent très intéressants, gardent néanmoins, de bout en bout, leur rôle de faire-valoir. Contrairement à la loi du genre (Obélix écrasant Astérix, Haddock surpassant Tintin) rien ici ne vient perturber ce schéma de base : le héros principal est le maître des cartes.
Damages
ne remporte pas le même succès en France que ses deux aînés. Pourtant, les ingrédients de l'addiction sont là : dans un cabinet d'avocats newyorkais, une femme fait régner la terreur. Patty Hewes (Glenn Glose statufiée en salope intégrale) se croit maîtresse du monde. Vous avez été madoffé ? Elle s'attaque à la gangrène, et tous les moyens sont bons, meurtres compris, pour vous refiler votre pécule. Les puissants syndicats font appel à la lionne pour se venger du chaos où le libéralisme les a plongés. Mais... une sublime avocate, la jeune Helen, un cheval de Troie à elle seule, va perturber les codes Hewes.
Sur fond de jeu SM, Helen va-t-elle devenir, saison après saison, le nouveau visage de la Justice ? Si oui, il est parfait.
Patty semble cependant insubmersible. Et aussi répugnante que fascinante, maltraitant les membres de son cabinet autant que les coupables. Chaque saison est un polar déroutant, qui commence par l'avant-dernière minute pour remonter patiemment jusqu'au début, reprenant la construction du Crime de l'Orient-Express. A vous de trouver la clé de l'intrigue, qui n'est exposée qu'à l'ultime quart d'heure de la saison. Comme chez les Bauer and co, tout compte, même les silences.
Le rythme est saccadé, les acteurs posent leur regard avant de prendre la parole, et celui-ci est parfois bien plus révélateur que ce qu'ils racontent. Savoir joindre le regard à la parole, et ne jamais le laisser déborder sur les mots est du reste une qualité de mon éditeur. Mon regard est, lui, trop immédiat. Il parle sans décalage.
Reprenons : le héros grec n'est jamais heureux. Pas plus que Jack, Dexter ou Patty qui s'en sortent, mais dans quel état ? Danger de ce genre de série : la pétrification du héros et donc de l'intrigue, qui repose sur sa seule personnalité. Pour mémoire, les deux climax de 24h sont les saisons 2 et 5. Les autres se mélangent allègrement pour vous embrouiller selon des trouvailles qui se ressemblent dans leur mise en place (taupe, tortures, terroristes).
Là où Damages surpasserait presque Dexter ou 24h, c'est dans l'idée très astucieuse qu'il y a un rebelle aux codes de la justice en chacun de nous, mais pas dans les mêmes conditions : Dexter est un psychopathe, pourtant, on souhaite qu'il s'en sorte. Idem pour Jack. Les deux enfreignent toutes les lois de la nature, rien n'y fait : on les veut vivants, on les espère libres. Pour Patty... c'est plus compliqué : elle est là pour faire régner la Loi. Or on la déteste, et s'il y a bien une héroïne qu'on souhaite voir morte, c'est elle. Pourquoi ? Elle se bat pour les plus démunis. Elle sacrifie sa vie affective à tout (son appartement est un modèle de solitude glacée).
Quand il lui tombe une tuile on s'exclame : bien fait ! De sa rigidité naissent nos haines. Les ordures qu'elle accable, on les protégerait.
C'est la force de ces séries : nous entrainer ds un concept ultra manichéen (Bien/Mal) puis nous pirater, nous faire voguer vers des visions plus troubles.
Comme disait un pote d'enfance : "la morale est toujours intelligente". Patty reste un sommet du genre.
A quand un cours de Français/Histoire qui dépoussièrerait nos tragédies du Grand Siècle à la lueur de leur nouvel éclat ? Attention : ces séries ne supportent pas la VF. Elles y perdent leur essence.
Baisers d'une pine'up qui dort peu ces temps-ci