Une veuve a
besoin de nourriture livresque. Surtout si elle doit la partager mentalement
avec son défunt mari.
Cette été, je
suis tombée par hasard dans une librairie marocaine sur « Les nouvelles enquêtes
du juge Ti » écrites par Frédéric Lenormand. Que son excellence Ecrivain-parmi
-les -meilleurs pardonne l’insignifiante tortue ignare que je suis : je n’avais
pas entendu parler de Sa Splendeur.
Imaginez la
Chine à l’époque des Tang (fin du VIIe siècle), gouvernée par un incapable et son épouse très capable : la redoutable impératrice Wu. Imaginez un
magistrat, mandarin de 3e catégorie qui change de lieu tous les 3
ans pour porter la bonne parole de la Justice dans l’Empire du Milieu. Imaginez-le
affublé de petites cellules grises et d’une fatuité dignes d’un Hercule Poirot,
d’un humour comparable à celui de Goscinny, de 3 femmes dont la Principale qui possède
l’esprit de dix femmes du XVIIIe français. Imaginez aussi des intrigues bien
serrées, des coupables parfois fort sympathiques et une observation au couteau des castes qui
composent le pays du Ciel du Dragon (surtout les religieux et les commerçants)
et vous obtenez un délice de série policière.
Moi et mon
défunt mari Ce-Dieu -Sur-Terre sommes consternés ; nous allons terminer « Diplomatie
en Kimono », dans lequel nous avons appris que les maris infidèles sont
appelés « Blaireaux coureurs » en ces temps immémoriaux (je plonge immédiatement
dans un parfait Ko teou pour saluer la mémoire d’Ingalls-le-loyal-parmi-les-célestes)
et nous adressons une supplique au vénéré auteur : n’abandonnez pas vos
splendides intrigues pour nous raconter la vie d’un commissaire bedonnant et
alcoolique vêtu de chemises qui puent aux aisselles dans l’espoir de gagner
plus de sous cf Mankell et consorts ; VOUS ETES BIEN MEILLEUR QUE TOUS CES
SCANDINAVES BARBARES.
Au Pays des
Ingalls convalescents, un Frédéric Lenormand est un atout précieux. Mais qu’attend
son connard inconscient éditeur
(Fayard) pour le mettre en valeur à sa juste place, celle d’un des maîtres du
crime ? Meilleur que la lourde Vargas, meilleur que les Anglais décidément
trop brouillons, meilleur que les écrivains rasoirs dépressifs du
Septentrion, Frédéric Lenormand est notre nouveau joyau.
Sur ce, je
vais me préparer des racines de nénuphar caramélisées tout en compulsant
fiévreusement l’atlas de la Chine impériale : Comment nous, petits
pustules européens, sommes mangés par les Dragons de l’est et les Cowboys de l’ouest…
Cela mérite de s’attacher à ces deux cultures pour saisir l’étendue du désastre.
Connaissant bien les cowboys, je m’attaque désormais au pays de Confucius, des cerfs-volants,
du Yi_King et des cruels châtiments.