Hier, j'étais à un gigantesque dîner de filles - de femmes serait plus juste. Elles étaient toutes inconnues, sauf l'hôtesse de la maisonnée, elles étaient toutes intéressantes, de vraies personnalités insolubles dans le collectif.
L'une d'entre elles, parmi les plus créatives, a émis des interrogations sur les réseaux sociaux.
- J'adore les réseaux sociaux !, fut mon cri du coeur.
- Pourquoi ? C 'est tellement artificiel et même gênant, cet étalage de l'intime.
Je suis partie dans une longue tirade à la gloire de facebook. C 'est vrai, j'aime FB. J'aime FB parce qu'au fil des années cet outil s'est constitué de personnes tellement différentes les unes des autres (dont je ne connais réellement qu'un cinquième de la masse), tellement loin parfois de mon univers qu'il me donne l'impression de baigner dans la comédie humaine. Mon FB, c'est Balzac. Je ne m'en sers pas pour surveiller les unes ou les autres, je plonge dans les infos du jour comme on plonge dans une eau rafraichissante. La température n'est pas constante, la mer peut être agitée. Ici ou là l'impertinent épice la narration. La timide lâche qu'elle n'a pas le moral, une main lui envoie un message de réconfort, la pro de l'image poste des photos surprenantes, le politisé râle, les solitudes se fondent et se dilatent, les associations sportives s'applaudissent, les commerciaux se vendent, les scientifiques font partager le futur, les snobs se parrainent, les sensibles s'essaient à l'audace.
FB est une écharpe de l'arc-en-ciel, stimulante ou abrutissante, mais jamais sans intérêt. L'homme est un animal qui communique, voire qui communie. Pour qu'un FB ait une vraie cohérence, il faut accepter l'inconnu, à ses risques et périls. Alors, à ce prix et à ce prix seulement, FB devient un immense anti-clan, une constellation de singularités ; il acquiert une dimension poétique avec ses rêves, ses névroses, ses pathologies, ses esprits libres et ses sentiments. Tout est bon dans FB, des photos de chats aux selfies poignants, des livres lus et aimés aux contrepêteries lancées à la cantonnade, des platitudes aux brillantes fulgurances.
C 'est une ville imaginaire, une mise en scène de la socialisation. Qu'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas pour moi de "connaître" une personne, il s'agit de bavarder gentiment au hasard des murs. Se protéger est-il tellement vital à l'heure où Google sait tout ce que nous faisons ? Instinctivement, les êtres humains ont laissé tomber la carapace du mystère. Ils travaillent plutôt sur la distance à mettre entre ce qui est ressenti et ce qui est transcrit. Moins de cris de rage, plus d'autoanalyse. FB devient une sorte de journal spontané gainé par une colonne vertébrale : celles des codes et usages.
Attention : je comprends parfaitement qu'on puisse détester la grande lucarne bleutée. Mon mari méprisait souverainement la démarche FB, mais il constatait, non sans malice, que FB m'apportait quelque chose. Et par ricochet, lui apportait aussi de micro cadeaux.
- Non mais quelle connerie cette vautraille de pathos !
- Tiens ! Regarde ce que truquemuche a écrit.
- (Gloussement) c'est vrai, c'est marrant.
- Et ça, cette vidéo archi ?
- Laisse-moi voir... Oui, c'est beau...
- Ah ! (didascalie : triomphante)
Oui, partage est un mot essentiel. Même dans le grand désordre, l'immense complexité de l'existence.
Aux épis de blé que les ami(e)s Fb m'apportent en rations quotidiennes : je prends.
Bon, le dîner de filles, bien réel, fut mille fois supérieur à FB. Encore que... vite, filons voir ce que truquemuche a pondu auj comme pépite à savourer. Je suis un caméléon qui n'explose pas sur l'écossais.