Que faire le jour des morts sinon lire tranquillement, à un rythme régulier et austère?
J'ai plongé tête baissée dans le dernier livre de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie.
La quatrième de couverture avait tout pour me rebuter : ce forcené de l'escalade, ce prince des chats des espaces inhabités a décidé, avant le glas de la quarantaine, de s'exiler 6 mois sur les rives du lac Baïkal pour tenter la grande expérience de l'immobilité solitaire.
Etant d'une nature aussi peu contemplative que sportive, aimant le contact humain avec la gourmandise des voraces du dialogue, l'idée de suivre le héros dans une quète nombriliste et doloriste ne m'enthousiasmait pas, loin de là.
Mais il se trouve que j'ai déjà rencontré Sylvain Tesson. Et qu'il est l'illustration même du bonheur.
Dans les salons du livre on croise des collègues qui au mieux sont à peu près bien dans leur peau, au pire sont des loqueteux du cœur claquemurés derrière leur mur d'angoisse.
Au milieu de ce manège de névrosés, de déréglés, Tesson fait figure à part. Je l'ai souvent observé à la dérobée: il a une carrure d'athlète, un regard très direct et il parle peu. L'image que je garde de lui: c'était durant un de ces beaux salons des bords de mer. La journée de signature était finie et j'ai eu envie d'aller nager. Le temps était magnifique, mais il n'y avait personne dans l'eau. Personne sauf deux amoureux qui s'ébattaient joyeusement. J'ai hésité à entrer dans la mer, par crainte de les troubler. l'homme a souri à la femme et j'ai reconnu Tesson. Ils avaient une façon de se cajoler en nageant qui frôlait la perfection. J'ai barboté dans le sens du courant qui m'éloignait d'eux, remplie d'un sentiment de reconnaissance: ce genre de scène rend optimiste.
Son livre l'est tout autant. Il n'évite pas une certaine verbosité, une arrogance dans l'aphorisme. Mais il décrit comme personne le rapport de l'humain à la Nature. Ou plutôt, son rapport particulier aux grands espaces est contagieux, empathique et vivifiant.
Tesson n'a pas d'humour, pas de sens de la drôlerie. En revanche, il sait manier l'incongru, le bizarre, le loufoque. Son style est classique, ample, à la Yourcenar. Il carbure à la vodka, à la bière aussi, parfois : Sacha me laisse un bidon de bière de cinq litres. Le soir, j'en vide deux lentement. La bière ou l'assommoir, l'alcool des pauvres gens. La bière est un sédatif qui anesthésie la pensée et dissout tout esprit de révolte. Avec la lance à bière, les États totalitaires éteignent les incendies sociaux. Nietzsche haïssait ce jus pisseux parce qu'il alimentait l'esprit de lourdeur.
Baisers de la pine'up qui continue son aventure extrême.
ps : amis de Mankell, résistez à vous procurer Le Chinois qui parade en tête de gondole des Fnac et autres Leclerc. C'est un roman assommant, didactique, complaisant dans la dépression, glacial et stérile (et en plus c'est mal écrit).
Vivre dans la nature , avec la nature ! Les grands espaces sont très vivifiants pour le corps et l'esprit . Je l'ai vécu au cours de mon chemin de saint Jacques pendant deux mois en 2005 . J'ai toujours la nostalgie de retrouver cette liberté , de repartir sur ce chemin malgré des jours difficiles .
Rédigé par : andré joucla | 01 novembre 2011 à 16:52
@ andré joucla. Les grands espaces... sur le chemin de saint Jacques que j'ai fait depuis le Vaucluse, c'est surtout la Meseta... Pour la liberté je relativise car on s'assigne une mission: arriver! Et chaque jour nous sommes esclaves de l'étape. Esclaves aussi des 3B (bath, beer, bed) du pèlerin. Déjà en fréquentant St Jacques avant le pèlerinage je voyais dans les yeux des arrivants deux lueurs: la joie d'avoir réussi et l'autre plus incertaine et demain ? Parce que pendant deux mois nous avons été des stakanovistes de la marche à pied et du compeed! Alors convenez que c'est une liberté factice.
Rédigé par : adamastor | 01 novembre 2011 à 22:40
Avez-vous lu tous les deux "En avant, route!" d'Alix de Saint-André? Si non, à André que je connais par son fiston, je vous l'envoie!
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 01 novembre 2011 à 23:44
"... au pire sont des loqueteux du cœur ...":
tu me rappelle Jacques Brel et ses "amputés du coeur" (in "Jojo") !
Pour la route d'Alix de Saint-André, fût-ce un chemin de croix ?
Rédigé par : Dominique | 02 novembre 2011 à 00:30
Oui , j'ai lu le livre d'Alix de Saint André , il était intéressant . Merci pour l'offre de m'envoyer le livre .
Pour adamastor , non , cela n'est pas une liberté factice puisque l'on a choisi de faire ce chemin en toute liberté et sans contrainte et ce que l'on en retire compense tout le reste .
Rédigé par : andré joucla | 02 novembre 2011 à 07:55
"Le Chinois" paradant en tête de gondole, ne serait-ce pas Marco Polo ?
Rédigé par : Dominique | 02 novembre 2011 à 08:11
Pff, le jour des morts, c'est le 2 novembre, pas le premier.
Rédigé par : Le Nain | 02 novembre 2011 à 12:23
Je ne le savais pas. merci Le Nain
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 02 novembre 2011 à 12:25
De vieilles réminiscences...
Le 1er novembre, c'est le jour de tous les saints ; et le 2, le jour des Trépassés.
Rédigé par : Caritate | 04 novembre 2011 à 12:17