Cette note est dédiée à un Dj qui s'appelle Sam Karlson. Il est aussi musicien. Son groupe : Panda Electric Garden
Un soir de la semaine dernière, je dinais avec des amis sur le toit d'un lieu dit branché. Je ne suis pas branchée. Je ne suis pas une vraie fêtarde. Je n'aime pas l'électro. Chez moi, je n'écoute que le silence. La musique est un secret bien gardé. Elvis est le plus sincère de mes paravents.
Soudain Good vibrations a retenti. Good Vibrations est ma chanson. J'ai fait quelque chose que je ne fais jamais : je suis allée voir le DJ pour lui demander de passer God Only Knows, autre chanson de mon panthéon personnel. Sam a eu un large sourire, m'a précisé qu'il l'avait déjà passée, mais qu'il allait la remettre pour moi. Il m'a demandé si j'avais vu le film qui était sorti il y a qq temps sur Brian Wilson. je ne savais même pas qu'un film était sorti sur le leader des Beach Boys. Il a été très persuasif et je fais toujours confiance aux gens qui aiment les Beach Boys.
Alors, hier soir, je suis allée voir Love And Mercy, de Bill Pohlad. Je crois qu'il faut avoir vu le film pour lire la suite de cette note. Ou connaître la vie de Wilson à la perfection.
Pohlad a créé son film comme une chanson bizarre, comme une sensibilité à part qui ne peut pas s'exprimer sur terre. Il mélange les époques, commence par les couleurs des années 80 pour présenter un Wilson déchu mais possédant, dans son corps d'ancien enfant supplicié et instable, une politesse qui abasourdit. Nous allons découvrir non pas le cerveau d'un homme qui passe d'une musique joyeuse à une musique symphonique, mais son mutisme, son incapacité à exprimer les souffrances autrement que par le regard. Et par des mots courts, des haïkus de douleur. Puis Pohlad, par flash backs délicats sature l'écran de couleurs pastels pour nous plonger dans les années de jeunesse : les plus belles à l'écran, les plus menaçantes car on sent, par contraste, dans la beauté d'un Los Angeles de rêve, que l'insouciance des frères Wilson est incompatible avec le génie de Brian.
Retour aux années 80. les drogues, l'alcool et une dépression qui vaut 10 cancers ont eu la peau de Brian. La seule chose qui surnage chez lui est une forme de tendresse d'enfance qu'il n'a heureusement pas perdue. Wilson est fidèle à lui-même, c'est son trésor.
Et dans ces années 80, reclu, brisé, abruti de médicaments par un psychiatre devenu gourou surpuissant qui le manipule comme un pantin servile, cet homme est sauvé par une femme, la femme qu'il lui fallait: son indépendance ne l'a pas rendue insensible, sa lucidité ne la rend pas dure. Elle accepte - on s'en doute, au delà du tolérable- les gouffres de Wilson. Elle comprend très vite qu'il faut protéger un homme pareil de la façon la plus intelligente possible. Dans un travail d'empathie qui décèle les cris inexprimés et qui laisse tout un champs au respect, à la compassion, à l'humilité ; cette femme forte psychologiquement ne peut et ne pourra comprendre ce que Wilson comprime comme il peut : elle lui laisse la liberté de sa folie. Elle lui fait ce cadeau-là.
Le film tout entier est un cadeau à Brian Wilson: il respecte une sorte de politesse, de mystère wilsonien qui entend des voix et qui ne peut les partager. En fait, il respecte le travers des fous : leur égoïsme.
Mais l'égoisme de Wilson a cette divine particularité : il ne détruit pas autrui. L'ancien enfant dressé à coups de ceinturon par son père est incapable de faire du mal à une mouche. Sa folie n'est pas revancharde, elle se dilue dans un temps qui lui appartient et auquel il faut adhérer ou non. Une sorte d'orgueil à l'envers : Wilson fait toujours ce qu'il veut, mais il le fait gentiment, presque calmement.
A cet égard, le travail des deux acteurs qui jouent le rôle de Wilson jeune puis plus agé (Dano et Cusack) est exemplaire : pas de roulements d'yeux à la Jack Nicholson, pas de mise en scène atroce de crises de délire, rien de tout ça, non, rien... A Dano le travail sur une quasi absence d'expression. A Cusack d'exprimer toute la douleur en un regard. Les deux plongent dans l'intime avec le mystère de la pudeur auquel Wilson se cramponnera toute sa vie.
Elizabeth Banks, qui joue la femme providentielle, croisement physique entre Witherspoon et Jane Fonda, a ce petit quelque chose qui laisse entrevoir sous la carapace des paddings 80 et du maquillage outrancier de l'époque la sincérité de sa gentillesse. Fantastique travail d'actrice qui se débarrasse de ses attributs pour foncer dans la tendresse.
Pohlad est un fou de musique. La bande son est une constante poésie.
Une critique : le film est un peu trop long, avec sans doute trop de redites au niveau des conflits - des conflits bien élevés - entre Brian et ses frères.
Mais il nous épargne le piège grossier, complaisant de montrer l'enfant battu, les eletrochocs, les séjours psychiatriques, l'horreur délectable pour de trop nombreux cinéastes qui se vautrent dans la violence à l'état brut.
là, la violence est esquissée. Elle n'en est que plus dangereuse.
Si vous aimez l'ellipse, si vous aimez la complexité des individus qui se retiennent pour ne pas faire de mal à autrui, pour ne pas écraser autrui, allez-y.
Et si vous aimez les BB, alors... C'est un chant d'amour.
Merci, Sam
Merci, Brian