- Et si on se cassait à Berlin pour un we ?
- Chiche !, ai-je répondu à Minnie
C 'était la semaine dernière et cela semble déjà hors du temps. Une parenthèse brumeuse, un voyage amical, une étrange découverte - j'étais allée à Berlin en 97 lors d'un voyage-éclair qui n'avait pas pour but de visiter la ville. Celle que j'ai un jour surnommé "Minnie" s'appelle Nathalie. Notre amitié est sous le signe du complémentaire car nous sommes aussi dissemblables que possible ; seule une hypersensibilité nous relie, elle, la passionnée, moi, l'enthousiaste, elle, l'énigmatique, moi, l'extravertie, elle, la lumière du nord, moi, celle du sud. A elle la réplique qui tue, à moi l'ironie. Ce qui affleure en sourdine est une fêlure d'enfance que nous possédons l'une comme l'autre et que nous tamisons avec nos armes et nos parades.
Avant même de commencer ce périple, tu me demandais déjà de le retranscrire. Berlin...
- Valérie, ton Berlin fantasmé sauce Lubitsch/Max Reinhardt/Bauhaus/Gropius/expressionnisme n'existe plus depuis une éternité. Il est mort avec la guerre. Berlin, c'est un no man's land, un film de nulle part. Je l'aime pour ça, je m'y sens bien. Je ne sais pas comment tu vas trouver cette ville, mais je suis curieuse d'avoir ton avis.
Un no man's land ?, aimer un no man's land ?
Comment me glisser dans la capitale qui éclaire ton visage ? A peine sortie de l'avion tu t'exclames : "Comme elle est belle !" Nous avons marché. Beaucoup. J'ai tenté de comprendre la ville, et toi à travers la ville.
Si je deviens poreuse, transparente, empathique, voilà ce qui émerge : le ciel est bas dans cette immense ville de plaine dont on ne distingue pas les limites distinctes hormis le mur qui t'importe peu, mais qui m'obsède. Il n'y a pas de castes, pas de pression, peu d'esthétisme affiché hormis les nouvelles réalisations architecturales ; l'esthétisme s'y explore de nuit, pas de jour. De jour, on voit une classe moyenne qui se promène, donnant à Berlin l'image avenante d'une cité aux loyers accessibles, une ville non reservée aux élites fortunées, une métropole qui s'étale entre parcs, canaux, architecture industrielle très présente, immeubles d'autrefois ravalés et restaurés. Elle n'échappe pas - tu vas bondir - à une certaine fadeur. Mais elle se rattrape par une courtoisie d'un autre âge, rassurante, vestige prussien du civisme nordique. Sa beauté a une couleur sourde, celle d'un jaune-beige, d'un gris foncé. Du noir, aussi. Elle ne possède pas l'écrasante splendeur de Paris qui distille les états d'âme à l'infini. Elle n'a pas le dynamisme électrique et dispendieux de Londres. Ce n'est qu'une capitale politique, on sent que les pouvoirs industriels et financiers ne sont pas là. Elle récolte les artistes, les créatifs, les architectes. Mais difficile de déceler le va-et-vient entre l'argent et la création pure. Comme si les deux ne se rencontraient jamais. Il n'y a pas d'embouteillages, pas de nervosité urbaine. Les réalisations signées Foster, Dudler ou Chipperfield semblent avoir été construites sans autre but que d'être sagement admirées, presque rêvées. Tu t'attristes de ses cicatrices, de son aspect bombardé ; je n'y arrive pas, je ne suis sensible qu'à son coté renaissant. C'est une ville poétique. On a tué son orgueil ? Elle renait par l'humilité. Et une forme d'étrangeté.
Tu voudrais y vivre. Moi, je ne sais pas. Il faut y retourner pour le savoir. A priori, non. J'ai besoin d'une intensité visible, limite théâtrale que je ne pourrai pas trouver dans les villes de l'est - je préfère New York et le soleil couchant. A l'ouest, toujours plus à l'ouest. Comme si, dans ma tête, il fallait inlassablement aller de l'avant. Mais je comprends pourquoi tu aimes sa respiration sage en surface, saccadée lorsque le monde de la nuit s'éveille. Ce n'est pas une ville musée, elle est réelle, elle donne ce qu'elle a sans fioriture. Pas de tricherie, pas de moquerie. Tu avais raison, le Berlin que j'avais fantasmé, trivial à la Wilder, hilarant, à la fois scintillant et grossier n'existe plus. Ici, pas de tyrannie de l'apparence. Pas d'impertinence. Une foule qui fait du vélo et promène ses bambins dans les parcs. Pas mal de hipsers, de temps à autre une silhouette originale... Mais quand la silhouette est originale, elle est TRES originale.
Tu es repartie pour d'autres voyages dans le nord. Après m'avoir offert un bouquet de saucisses.
Ah, Berlin. Mon premier souvenir de Berlin date de 1975. Ville encore coupée en deux et passer par Check Point Charlie n'était pas une partie de rigolade avec des Vopos aimables comme des portes de prison. Autant la partie ouest était neuve, toute trace de la guerre ayant été effacée ou presque, autant la parie est portait encore les stigmates de la guerre, avec des ponts non reconstruits et la trace des balles sur les murs. A l'est, on pouvait se faire une idée de ce qu'était le Berlin d'avant guerre. La dernière fois que j'y suis retourné, c'était en 92 pour emmener mon père une dernière fois sur des lieux où il avait été prisonnier.
En 72, je demandais à un ami allemand ce qui l'avait le plus surpris dans la RDA où il se rendait régulièrement pour son travail. Il m'avait dit: il n'y a pas de fleurs.
Rédigé par : Le Nain | 25 novembre 2014 à 08:22
En novembre, la nature n'était pas à son sommet. Mais j'imagine qu'en juin, sur les rives de la Spree, c 'est plus... coloré
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 novembre 2014 à 00:45