Vacances singulières, premières vacances sans toi. Vingt fois par jour, cent fois par jour j’épelais mentalement ton nom ou je t’inondais de prières muettes. Je suis retournée au Cap Ferret, veuve parmi les binômes. J’ai soif de couples unis. Les amis proches le savent, mais pour les autres : je suis désolée, je suis dans l’incapacité d’écouter les plaintes, les jérémiades, les « mon père ne m’a pas aimé(e) », « ma mère est odieuse », « je porte les séquelles de mon enfance ratée », « les hommes sont des porcs », « les femmes sont des mégères », « mes enfants alalalalah ils ne font rien » ou, variante, « j’ai mal au dos, j’ai mal à la tête, etc ». Gardez vos frustrations car il y a une mutilée à table et cette mutilée, c’est moi. Toi, toi qui ne t’es jamais plaint, même aux pires moments, toi qu’à la fin je portais jusqu’à notre lit et qui arrivais, dans un effort de dément, à t’y assoir par la force de ton cerveau magnifique, je te sens lever le sourcil à l’écoute de ce genre de lamentos. Saches que j’ai passé ces vacances à te recréer. De manière étrange, t’avoir perdu me ramène à mes chères études d’égyptologie, celle d’une époque durant laquelle je me passionnais pour une civilisation qui ne vivait que pour préparer la mort. J’adorais les hiéroglyphes blagueurs, cette drôlerie des temps anciens qui vivaient d’autant mieux qu’ils croyaient en une éternité gourmande. Faire du vélo dans les villages de ce bout de paradis girondin, environnée de jeunesse triomphante et d’amis attentionnés m’a permis de te faire plus facilement vivre en moi. Car à partir de maintenant, moi aussi, je prépare ma mort– ou mon avènement. Notre fusion ne risque pas de s’étioler, tu m’as marquée avec une profondeur ignifuge, isotherme, inoxydable. Telle une reine Victoria je parle de moi en disant « Nous ». Et ce nous résonne encore plus fort lorsque je suis avec des gens heureux, des couples insouciants, des gens curieux. Solitaire par la force des choses, je fuis les esseulés, les mécontents et les aigris. Après cet exquis art de vivre à la française, je t’ai promené du côté du Maroc. Je t’ai fait découvrir Tanger, Essaouira. Tu as déjeuné à coté d’une icône française, d’un ancien mannequin de Vogue, d’un poète, d’un grand couturier totalement élégant et surtout, de nos amis qui nous avaient envoyé le plus joli des cadeaux de mariage : des draps brodés à notre nom, comme s’ils voulaient nous envelopper de leur tendresse pour contrer la tragique maladie. A Daniel et à ma chère, chère Karin : remerciements éternels. Oh, bien sur il m’est arrivé de pleurer en me promenant seule dans les ruelles des médinas. Mais il y a progrès : je pleure en silence, je ne sanglote plus. Tu serais fier de moi. J’avance, j’avance dans notre projet, guidée par ton œil infaillible. J’avance en coloriste qui a intégré tes volumes. Mon amour, mon irrésistible double, demain, je ferai partager nos lectures de l’été.
Ps : « Nous » ne voulons entendre que de belles histoires d’amour, pas de sordides aventures de cul.
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