Quatre livres lus recemment (ou relus pour certains), trois à encenser et un à dénigrer. Plus une BD hélas très décevante.
Top du top : ex aequo Tintin et le Mythe du Surenfant de Jean-Marie Apostolidès et la biographie de Thatcher (éd. poche) de Jean-Louis Thieriot.
Commençons par Tintin. Je vous livre le premier paragraphe de l'introduction : On ne dira jamais assez quelle catastrophe la Première Guerre mondiale a représenté pour les pays européens. Elle n'a pas seulement entraîné leur déclin économique et politique, elle a provoqué l'effondrement des valeurs qui formaient le socle de leur culture commune. Puisque l'humanisme, héritier du christianisme et de la tradition gréco-romaine, avait engendré une telle barbarie, ne fallait-il pas le rejeter entièrement? Après 1918 la tentation fut grande de tout reprendre sur des bases nouvelles. Le modèle de la raison adulte étant condamné, il fallait repartir de zéro, c'est-à-dire de l'enfance.
C'est un essai qui se dévore, passionnant, sans le phrasé pompeux des sociologues/philosophes. Apostolidès explore les rapports enfants/parents ainsi que la vision des génies nuisibles ou protecteurs sur le mental des enfants avec une finesse d'analyse magnifique.
Passons à Thatcher, une biographie (très bien) écrite par l'historien Thieriot: là encore on est au dessus du lot. Elle se lit comme une épopée. De la fille d'épiciers à la premier ministre, de son acharnement et sa ruse implacable, tout est dit. On mesure aussi la chance conjoncturelle qu'elle a eue avec la guerre des Malouines qui a resserré le sentiment patriote pour lui faciliter la tâche aride des réformes à mener (réformes jamais remises en cause par les travaillistes nonnononjenefaispasdepolitique). Le passage le plus intéressant: celui de sa bataille contre les syndicats, sa manière d'avancer en bande de billard, un coup je tire un coup je me protège, je lâche ce qu'il faut au bon moment et j'atomise à l'heure H, forçant les syndicats à la faute, les acculant à une violence qui les a rendus impopulaires.
Enfin -je reste dans l'english - ce bon vieux livre que je relis avec une admiration renouvelée : l'autobiographie d'Agatha Christie. Oubliez un instant la reine du crime et promenez-vous dans la mémoire de lady Agatha née Miller, fille d'un Américain bon et drôle et d'une Anglaise un tantinet frappée. Agatha nous raconte avec son talent visuel ce que fut sa jeune vie sans inquiétude au sein d'une famille aisée sans plus, le chagrin de la mort de son père alors qu'elle n'avait que 16 ans, la rigueur financière qui suivit, la profonde rêverie qu'elle développa pour échapper aux angoisses et ce formidable appétit d'existence qu'elle a toujours possédé, appétit de vie lié à un sens de l'humour très particulier et à une bonne dose de sérénité. Midinette dans l'âme, elle épouse pendant la Grande Guerre un sublime Irlandais, Archibald Christie. Ils ont une belle petite fille, pas un sou en poche et leur jeunesse à explorer. Ils feront le tour du monde. Archi lui dit un jour: "Pourquoi n'écrirais-tu pas des romans policiers, toi qui aimes tant les énigmes?". Le meurtre de Roger Acroyd (1926) la fait entrer rapidement dans la cour des grands. Archi la trompe et la quitte sous prétexte qu'elle s'occupe moins de lui. Agatha met un certain temps à se relever et part seule, toujours à l'aventure, sur les chantiers de fouilles en Irak. Elle y rencontrera son deuxième mari de 15 ans plus jeune qu'elle, l'archéologue Max Mallowan. Au début, elle refuse de l'épouser : "J'ai 40 ans et vous 25 ! vous êtes fou?" . Max est tenace et elle accepte enfin, ce qui consterne famille et proches dans un premier temps. Ce sera un mariage solide qui tiendra jusqu'à sa mort tardive. Lady Agatha avait toujours raison, elle qui disait: "Epousez un archéologue. Plus vous vieillirez, plus il vous trouvera intéressante". La clé de son succès: elle n'a jamais pensé une seule seconde être réellement intéressante.
Son mélange de bonne humeur, travail, conservatisme et originalité exceptionnelle me donne des ailes. Agatha est mon ange gardien, ma gourmandise personnelle.
Dans la série "on peut s'en passer": le dernier Bill Bryson Promenons-nous dans les bois (éd Payot) qui, hormis des premières pages hilarantes, ne tient pas ses promesses, loin s'en faut. Bryson rejoue livres après livres le même numéro éculé du vieux baby boomer sarcastique, grassouillet, ouvertement avare et peureux, piochant dans l'esprit Billy Wilder pour n'en tirer que le déplaisant. De lui il faut lire Motel Blues (c'est le plus drôle), le reste n'est qu'une sous redite de ce désopilant essai. C'est terminé, Bill, tes péripéties de l'existence, tu peux te les garder. Ton moralisme à deux balles sous-tendu par "je sais me foutre de mézigue donc je peux tout me permettre", cela devient lassant.
Question BD, en digne fan de Franquin, Jijé et Morris, j'attendais beaucoup de Gringos Locos qui raconte le voyage des trois mythes de la bd aux USA dans les années 50. Las! Pas de scénar, on s'ennuie ferme, aucun intérêt.
Baisers de la pine'up qui vous invite au passage à ne surtout pas voir le film Indian Palace. A moins que vous aimiez L'année dernière à Mariendbad qui est pour moi le film le plus chiant de tous les temps. C'est le même genre de prétention qui provoque un ennui noir, palpable : deux heures trente d'attermoiements sur le temps qui passe, merci, très peu pour moi. La bande annonce était assez drôle. Le film est nul. Succession d'aphorismes, acteurs figés, un cauchemar. J'ai lu des critiques élogieuses parlant d'une sublime mise en scène et de paysages grandioses, quelle plaisanterie! Filmer la splendeur du Rajasthan, même le plus crétin des touristes peut y arriver tant Jaipur est naturellement télégénique.
PS: à propos, c'est la crise donc terminées les images sur ce blog (et toc)
Mes p'tites dernières: Les funérailles princières en Europe XVIème-XVIIIème siècle tome 1 (Aulica)
Rescapé du camp 14, un nord coréen né en camp, qui a vu sa mère et son frère éxécuté devant lui, qui a réussi à s'enfuir par la Chine. Glaçant, et à envoyer à Mélanchon (Belfond).
La naissance du capitalisme au Moyen-Age de Heer. (Perrin).
Relecture de Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe- XVIIIe de Braudel, que je relis tous les deux ou trois ans, et dans lequel je trouve de nouvelles choses à chaque fois tellement c'est riche. C'est maintenant au livre de poche, mais si vous trouvez l'édition originelle, elle est très joliment illustrée.
Rédigé par : Le Nain | 19 mai 2012 à 17:47
Vous me donnez grande envie de me replonger dans Braudel
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 19 mai 2012 à 18:49
Bien agréable à lire-déguster que tout cela.
A 20 ans, on se fixe de définir les 1000 titres indispensables, à 30, les 100 auteurs, à 40, ce qu'il faut avoir à porter de sensibilité et puis...
Mais quels instants sublimes diffusent une découverte ou re-découverte forcément différente ou nuancée...
Merci. Le dimanche est finalement ensoleillé...
Rédigé par : L'amant-de-la-cousine-Bette | 20 mai 2012 à 09:45
Je vous conseille également le récit des chantiers de fouilles d'Agatha Christie, le seul livre à ma connaissance qu'elle signe Agatha Christie Mallowan : La romancière et l'archéologue (ed petite bibliothèque Payot), un bijou de drôlerie et se sens de l'observation. Sinon, j'ajoute que mon cher fiancé est en train de terminer le Thatcher et qu'il est aussi emballé que moi.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 20 mai 2012 à 10:21