Sachant que je suis une gourde qui n'a pas Canal et qui tient absolument à regarder ses films/séries sur son écran télé (aux aminches: la bonne vieille télé 15 ans d'âge marche toujours, je retarde au maximum l'heure tragique du passage à l'écran plat), vous pouvez en déduire que j'ai -oui- engraissé l'ogre Fnac en achetant le DVD de la série Kaboul Kitchen.
Et c'est excellent. Comme cela fait plaisir de voir la France s'emparer du monde des séries pour y imprimer sa patte. Tout est bon: le format (30 mn), le pitch, le casting, les dialogues, les cadrages et les acteurs. Kaboul kitchen, c'est un truc à pavoiser, à être culturellement patriote.
L'idée de base est déjà alléchante: un fringant quinqua un tantinet ralpince et surtout très malin fait sa pelote dans la capitale afghane grâce à son beau restaurant destiné aux expats. Sa fille de 20 ans, qu'il n'a pas vu grandir, débarque avec ses idéaux ( je bosse dans l'humanitaire) et ses manques (coucou papa, tu vas en baver). Les scénaristes ont évité le piège principal, celui de la caricature - piège que n'auraient pas évité les Américains, j'en suis quasi certaine. Tous les personnages sont très soigneusement identifiés, du patron faussement fêtard à la grande fille faussement intello en passant par le colonel d'opérette et les bobos humanitaires plus vrais que nature. Le casting est à la hauteur de ce jeu des 7 familles: irréprochable. C'est parfois drôle, parfois plus triste, c'est bien rythmé (quelques épisodes dans la seconde moitié sont un peu en deçà du ton général, mais on ne fera pas la fine bouche), c'est juste et furieusement actuel.
Par le passé, les Français trébuchaient sur les règles d'or de la construction américaine des fictions. Je serais tentée de dire qu'à présent, ayant bien digéré ces règles, ils sont en passe de les surpasser. Les personnages américains sont toujours très monolithiques: c'est leur force, mais aussi leur faiblesse, ils ont peu de marge d'évolution. Avant, à chaque fois que la France s'emparait d'une bonne idée anglo-saxonne, elle ratait le coche en en faisant un truc déplaisant (voir le massacre des Ab' Fab version française), néo-voltairien et mal construit. Dans Kaboul Kitchen on dit adieu à la perfidie hexagonale, au bon mot facile et venimeux, à l'esthétique qui pallie la pauvreté du dialogue pour se concentrer sur des personnages assez sympathiques qui peuvent très mal se comporter tout en étant des gens bien. Ou sur des personnages qui sont d'authentiques raclures, mais qui peuvent bien se comporter (Amanullah mon ami). Et plutôt que renoncer au côté "intello français", les scénaristes de KK le revendiquent pour s'en moquer avec tendresse. Avec tendresse et tout est dit. Melki n'a jamais été aussi à l'aise que dans ce personnage qui a la flamboyance d'un Abitbol, flamboyance sous-tendue par une mélancolie qu'il utilise enfin à bon escient (jusqu'à présent le côté sombre de Melki était exploité dans des films verbeux et très chiants).
Les seconds couteaux sont finement observés, à l'exemple du personnage très Alfred de Musset du jeune bourgeois de la com' oscillant entre lâcheté et courage, son écharpe Agnès B au cou et son patronyme ad hoc. Axel ou le parfait prénom bobo (avec Clovis ou encore Gaspard).
J'ai un gros faible pour Habib, la tourterelle de Kaboul. ça craint du cul, patron? Mmmhh...
Les grands moyens ont été mis en œuvre pour l'élaboration de cette série (8 millions, je crois, c'est-à-dire plus du double qu'à l'ordinaire). Ils n'ont pas été gaspillés.
Baisers de la pine'up qui croit de plus en plus à la french touch (ceci dit, pour le rugby, cette année on repassera).
PS: la prochaine étape pour écraser définitivement la suprématie anglo-saxonne est de réussir une très belle série historique. Là, les Britanniques (Downtown Abbey) ou les Canadiens (les Tudor) sont encore les meilleurs.
PPS: un homme qui arrive à rendre sexy le prénom "Gilbert" justifie la "melkimania".