Avec la mer du Nord comme dernier terrain vague... ça fait bien longtemps que je ne suis pas allée dans le septentrion. Caritate et Héléanne m'ont donné des piqûres de rappel en conversant sur leurs retrouvailles au plat pays ; des pépites, des lambeaux de souvenirs reviennent, au compte-goutte...
Une grand-mère lilloise, toujours vaillante. Une jeune grand-mère, plus si jeune à présent, mais mariée à 17 ans et grand-mère à 40 = forever young. Une femme brillante, bonne élève mais sans un flèche, donc pas d'études supérieures. Une archi sensible, une correspondante idéale (ses lettres m'ont donné envie d'écrire), une cinéphile intransigeante responsable de mes premiers émois; une femme d'un seul homme, mort alors qu'elle avait à peine 50 ans. Je suis sa chouchoute. Celle qu'elle a bourré de rêves. Quand je dis que les femmes m'ont sauvé la vie, elle fut la première. Ma mimi - c'est son petit nom, en vrai, elle s'appelle Marie-Josèphe mais elle prétend que ce nom fait "minable plaquée par son mari".
Ma Mimi d'amour. Quand j'étais pré ado, tu avais économisé pour louer, après la mort de grand-père, un studio au Touquet. On y allait en train, tu n'as jamais su conduire -et pourtant, tu as essayé, mais après 15 tentatives, tu t'es découragée. Là-bas, on retrouvait ta grande sœur, la flamboyante tante Élisabeth qui finissait sa vie dans une maison de retraite pour veuves de médecins. Tante Babeth n'a jamais considéré que sa vie était finie : elle la recommençait chaque matin, adorant cet endroit plein de ragots et de disputes de vieilles dames. Nous formions un drôle de trio. J'avais 11 ans, une silhouette rachitique d'enfant poussée trop vite, toute en angles sauf les yeux, les joues et les fesses. Mimi avait 50 ans environ, une crinière blanche et épaisse coupée court, un teint très mat, une minceur sévère mais une réserve de baisers inépuisable et un fond de désespoir que je sentais prêt à l'envahir pour un rien. Il fallait la faire rire, et sa grande sœur y arrivait très bien. Tante Élisabeth (on va dire 70 balais à l'époque) était l'antithèse de sa petite sœur; la vie ne l'avait pas épargné non plus, mais elle avait décidé d'en rigoler... elle avait dû être une très belle femme. Des lèvres plates, des yeux clairs, un visage de métisse, des pommettes saillantes, un optimisme à toute épreuve. Je naviguais entre le "Chat bleu", la maison de retraite de tante Babeth, le studio de Mimi et les dunes, partagée entre les visions noires et grinçantes de Mimi et la vie en rose de tante Babeth.
Le long du remblai, tante Babeth hurlait en me donnant la main : "ma chérie, comme tu es jolie (je me trouvais affreuse). Tu verras, tu leur briseras le cœur." Eux, c'étaient la masse masculine qu'elle imaginait rampant à mes pieds. Pour une gosse engloutie par les complexes, c'était un espoir tellement inimaginable que je ne pouvais que me fantasmer en Cléo de Mérode, juste pour rire. Tante Babeth avait réussi à choper un soupirant dans sa sinistre maison, qu'elle comblait de compliments.
Sa vie : une épopée digne d'Agatha Christie. Contrairement à Mimi, tante Babeth n'était pas une intellectuelle. C'était une ode au romanesque. Elle se maria bien jeune avec un médecin caractériel dont elle eut une fille ; lorsqu'il cassait les meubles, elle murmurait : "Pierre fait la tête..." Pierre mourut pendant la seconde guerre mondiale, écrasé par un train de marchandise alors qu'il effectuait une mission pour la résistance. Tante Babeth avait 45 ans et aucune envie de s'abimer dans son souvenir. Elle épousa en deuxièmes noces son meilleur ami, "ce brave Raoul", amoureux d'elle depuis des années. Le festin était terminé : la fêtarde lilloise dut s'exiler dans une affreuse bourgade abandonnée au milieu des terrils où Raoul exerçait son métier de médecin lui aussi, dans une baraque digne de Psychose, régentée par les deux soeurs de Raoul, vieilles filles hystéros qui, véridique, tentèrent de l'empoisonner à l'arsenic. Tante Babeth décida que c'en était assez et se sépara de Raoul "à l'amiable". Elle a fini par atterrir dans cette maison du Touquet pour me donner des leçons de "comment faire la cour aux hommes" et son inestimable corollaire, "comment se faire aimer". J'ai été une élève inégale...
Baisers d'une pine'up qui ne peut manger des speculoos sans avoir envie de pleurer. A chacun ses madeleines, et les speculoos, c'est mon Amérique à moi.
J'ai le coeur brisé.....d'émotions. Tu as l'art de peindre les situations et de nous faire percevoir ta sensibilité.
Rédigé par : Gérard | 06 novembre 2010 à 01:06
Teu fais braire tertous !
Rédigé par : Caritate | 06 novembre 2010 à 08:05
Ben j'vais boire un Picon pour marmonter!Chépa possip cha continue !
Chava derer incore longtin d' parler d'euch Nord.
In va êtes 6 mos à s'inrmettre
Rédigé par : Héléanne | 06 novembre 2010 à 11:06
Aïe ! chuis pas vraiment du Nord, là, je mesure la barrière de la langue, mimi et tante Babeth m'ont pas donné de cours de ch'ti. Mais bon, pour vous mettre l'eau à la bouche, une friandise de ma grand-mère du nord qui n'a pas des masses de sous mais une débrouillardise à l'avenant : le sucre d'orge aux noix (autre madeleine) : mettez plein de sucre dans une casserole (pas de cassonade, du sucre blanc tout bête, c'est important), ajouter un peu d'eau. Quand le caramel devient roux, jetez dans la casserole des cerneaux de noix. mettez ce mélange à refroidir sur une plaque de bois beurrée, ou, mieux, une plaque de marbre. Quand c'est froid, coupez en morceaux. Fortune des dentistes assurée et plaisir des gamins... mmmmhhhhh.
Quant à tante Babeth, elle était si marrante que je vais à nouveau lui rendre hommage avec une anecdote à vous faire adorer les vieilles dames !
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 06 novembre 2010 à 12:39
A Lille, te souviens-tu des babeluttes, ces caramels au lait, à la vergeoise, au beuure, aromatisés à la vanille ?
Rédigé par : Caritate | 06 novembre 2010 à 15:55
A peu près tous mes souvenirs du nord sont des souvenirs de gourmandises, de bonbecs... Mais je vais te surprendre : je ne connais pas Lille (uniquement entrevue lors d'un week end)! ma grand-mère a très tôt quitté sa ville, et quand nous partions ensemble pour des retrouvailles familiales, c'était soit au Touquet, soit à Boulogne-sur-Mer, soit au cap Gris Nez (super restau là bas dans le temps). En revanche, chaque année, ma grand-mère faisait une provision de gaufres de chez Meert (une tuerie que mes gamins adorent et qu'on trouve à présent à l'épicerie du Bon Marché à Paris, mais c'est pas vraiment le même goût)
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 06 novembre 2010 à 16:21
Donc, week-end printanier au Touquet quand tu le voudras ! Je prends mon billet tout de suite ou j'attends un peu ?
Rédigé par : Caritate | 06 novembre 2010 à 17:22
On s'appelle et on mitonne ça tranquille (mais fermement). tu crois qu'ils ont des gels pina colada au Touquet ?
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 06 novembre 2010 à 17:23