Ce qu'il y a de plus intéressant dans les salons du livre, ce sont les rencontres entre collègues. Passionnant. Les plus à l'aise et les plus chaleureux font partie de l'écurie EHO :"La" Rosnay et Harold Cobert dont la mère avait du goût puisqu'elle l'a baptisé ainsi en hommage à "Harold et Maud", un de mes films préférés. A noter également : coup de gibus à Héloïse d'Ormesson qui vient encourager ses poulains ; la présence d'éditeurs sur les stands est suffisamment rare pour être signalée (vue également à Besançon, Sabine Wespieser). A Châteauroux j'étais assise à leurs côtés, donc dans un stand hautement comestible.
L'exercice du salon est un art délicat : doit-on ignorer ostensiblement le chalant qui passe, ou harponner pour vendre sa camelote ? Trois écoles s'affrontent : celui qui n'en a rien a f... et qui lit son quotidien sans un regard pour la foule, le deuxième préfère, lui, prendre un air faussement nonchalant pour ne pas gêner son vis-à-vis et entame poliment la discussion si l'envie se manifeste de l'autre côté de la barrière (ce qui, par pudeur, est mon cas). Et enfin, le troisième qui EST PRÊT A TOUT, je dis bien A TOUT pour vendre. Lorsqu'il n'y a personne ds les allées, il prend un air boudeur. Si un malheureux s'approche à 5 mètres de son stand, il l'apostrophe et c'est parti pour une scène digne du grand bazar d'Istanbul.
Certains mettent leurs faits d'armes dans leur vitrine, une feuille polycopiée qui indique fièrement "j'ai fait Ardisson", ou encore un petit panneau :"c'est le dernier !!!!" alors que la maligne en a encore une caisse remplie sous ses genoux.
J'hésite pour le prochain : mettre un nez de clown ?
Au déjeuner du dimanche, tout le monde se retrouve au gymnase du lycée pour un repas sans prétention, une cantine loufoque. A ma table se trouvait un écrivain qui vit pour les salons et qui agrippe tout le monde ; un aigri, furieux du manque de considération pour son œuvre régionaliste immense et méconnue (une honte). Appelons-le "Constantin". Constantin déplore la peoplisation, vous abreuve à chaque fois de l'histoire de sa saga arverne peuplée de paysans farouches et de secrets de famille ; il rancit à petit feu, à la recherche non d'argent mais de trompettes de la renommée. Son travail est peut-être très bon mais son attitude m'a ôté toute envie de le lire.
Face à lui et moi se trouvait : Poulidor !
Oui, Poupou en majesté. Rhâââ ! Constantin a perdu un temps ses réflexes anti-star pour lui lécher le cul sans vergogne. Il a commencé par une gaffe : "comment ! Vous, qui êtes un monument, vous ne touchez que 10 % sur les ventes". Et Poupou de répondre, impavide ou moqueur : "normal, je ne l'ai pas écrit".
Constantin avale une arête de saumon amora et sa julienne de légumes en paquet alu mais trahit ses idéaux dans un rapprochement désespéré. La conversation aborde les miss France.
C'est à mon tour de faire une boulette : "Fontenay , cette mère maquereau aux cheveux gras et au dentier jauni par la méchanceté !". Ma voisine n'apprécie pas du tout : "il ne faut pas dire du mal des gens, cette femme est très bien." Poulidor se marre, Constantin opte pour un entre-deux : "cette femme représente qq chose". Puis Constantin aborde la côte de 1975 où Poupou a brillé. Manque de chance, l'as du vélo, une lueur ironique ds l'œil remet le sujet sur Fontenay. Constantin ne sait plus quoi faire. Je lui signale que Marcel Amont est là. " Pfff , gaffe l'Arverne, encore un qui n'a pas écrit une ligne ! " Poupou rigole de plus en plus en se resservant de cubic. Je défends Marcel contre l'Auvergnat jaloux. A cet instant, Marcel surgit, flamboyant et joyeux. Poupou l'alpague : "salut, vieillard!"
Amont : "tu faisais moins le malin quand tu te faisais remorquer par une mob' dans le Giro 1971 !" Constantin éclate d'un rire faux-cul.
Poupou, le teint frais et la mine vermeille, se lève de la tablée en décrétant qu'il est l'heure de se remettre au taf. Il part d'un pas de sénateur, poursuivi par Constantin qui n'entend pas le lâcher de sitôt. Clope au bec, je les suis, hilare. Constantin aborde des sujets bateau : "comme ce jardin est joli !" Poupou opine du chef machinalement. Un couple de jeunes le reconnait : "bonjour, monsieur Poulidor !". Constantin prend cet hommage pour sa pomme et sourit, heureux de cette publicité indirecte à sa personne : pensez-donc, il donne le bras à Poupou !
Conclusion : le Creusois du vélo est plein de bon sens et vieillit bien mieux que ses collègues champions (aux dernières nouvelles, le baron Édouard Merckx n'a pas bonne mine). Et quand un écrivain se parjure, la scène ne manque pas de saveur.
C'était en direct de Châteauroux, et bien le bonjour chez vous !
Ces scènes en "off" des salons doivent être savoureuses!
La vitrine des égos que tu nous présente donne envie d'aller titiller la fierté de certains auteurs.
Rédigé par : Fredouat | 26 avril 2010 à 15:55
Fred, si tu savais... un jour, je lâcherai la bonde !
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 26 avril 2010 à 16:37
Bonjour,
J'étais au Salon du Livre de Châteauroux et je regrette de n'avoir pas eu le temps de venir vous parler. Ce que vous dites de l'attitude des auteurs derrière leur étalage est assez amusant : je le note aussi, et je crois que cela révèle bien le caractère de chacun.
Pour nous visiteurs, ce n'est pas toujours évident d'aller aborder un écrivain... Comment va-t-il nous recevoir ? Est-il juste intéressé par la vente de son bouquin, ou est-il ouvert à une discussion partant d'un sujet et s'élargissant à beaucoup d'autres ? Est-il disposé à nous écouter ?
Je suis allée au Salon du Livre de Paris, et j'ai aimé déambuler au milieu de tous les stands d'éditeurs. Par contre, à part "La Bouinotte" (éditeur régionaliste), je n'ai abordé aucune personnalité présente.
A Châteauroux c'était différent : j'ai beaucoup aimé l'ambiance bon enfant, et même si le Salon est moins grand qu'à Paris, la qualité des oeuvres proposées m'a beaucoup plu... aussi bien en littérature générale que chez les enfants.
Vous nous faites voir un peu les coulisses de cette manifestation. Merci de partager tout cela !
Rédigé par : Fadette | 01 mai 2010 à 09:23
J'aurais bien aimé vous connaître, Fadette. Petit conseil : allez dans un salon du livre comme à la chine ; n'hésitez pas à ouvrir les bouquins (les 4e de couverture peuvent être trompeuses). Et si l'intérieur ne vous plait pas, vous le reposez et tant pis, rien n'est grave. Vous pouvez aussi tailler le bout de gras en demandant, par exemple à un auteur ses choix de livres. S'il vous entourloupe pour que obliger à acheter le sien, méfiance... Un sourire poli et salut. Mais parfois, cela aboutit à de vrais échanges. A Châteauroux, je me souviens de deux conversations : l'une sur les polars, l'autre sur les romans historiques. Les charmantes personnes n'ont pas pris "Chronos blues" mais on s'est bien amusées. je me souviens d'un auteur qui m'engueulait parce que mes conversations duraient trop longtemps : " vous n'allez jamais vendre ! C'est pas comme ça qu'il vous s'y prendre !". je m'en contrefiche, moi, j'adore papoter de choses qui n'ont rien à voir avec les livres : le pays, la ville, la vie... Mais souvent, je n'ose pas aborder les gens. En revanche, lorsqu'ils viennent à moi, il se passe parfois de bien jolis échanges.
Au pays de Fadette et à cette campagne qui vous berce, lumineuse.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 01 mai 2010 à 19:58