Prof de gym. Photographe. Designer. Architecte. Cinéphile. Acrobate. Magicien?
Il était une fois un homme plein de sensibilité né avec le don du cadrage... Regarder cet homme, c'est observer un être humain qui semble avoir un sac d'imaginaire dans lequel il pioche pour faire émerger la beauté. Comme ça. D'un coup, elle s'impose, évidente, facile, aérienne, dans les proportions du chiffre d'or. La création en un geste gracieux. Cette beauté se loge à l'échelle d'un stylo, d'une étagère, d'un fauteuil ou d'un palais... Tout ce qui sort de sa main possède l'élégance de la simplicité.
Marc Held, c'est un nom que tous les amateurs de design connaissent : dans une autre vie il a été un des plus grands designers français, faisant de sa boutique parisienne L'Echoppe un écrin à la création scandinave, italienne, ainsi qu'à la sienne. Seul Français édité par l'américain Knoll, il passe ensuite du design à l'architecture et prête serment sur oeuvre, comme Corbu. Je n'ai même pas envie de m'écrier : "La classe" tant sa fluidité est gage d'assurance.
Il était une fois le temps suspendu, celui de notre rencontre sous le ciel des Sporades où Marc a posé ses valises il y a une trentaine d'années, fuyant la ville et sa vie d'artiste devenu patron. La gloire? La renommée? Il n'en a rien à faire, seuls les projets le passionnent.
Il appartient à la famille des arlequins qui ont des tas de losanges, mais chez lui, la couture des losanges est aussi soignée que leur soie : enfant de Bagnolet caché pendant la guerre, doué du don pour les accents de toutes les nationalités, charme vif de la Hongrie paternelle, endurance de la Pologne maternelle, et sens de l'harmonie si français... Mais qui es-tu donc, terreau Mitteleuropa évoluant entre banlieue parisienne et monde paysan corrézien de tes premières années? Comment as-tu pu naviguer dans un tel grand écart, passer de l'architecte publié et encensé à l'épris de solitude des grands espaces?
il faut te peindre avec agilité. Le long visage est mat, pommette saillantes, profil bien dessiné encadré par une crinière épaisse et ondulée. Les traits, fins et mobiles, reflètent une acuité sur le qui-vive : pas le temps pour l'attente ou le repos, le regard se pose à toute allure et enregistre chaque détail de la vie. Le sourire trouble ce visage classique, il le soulève et l'illumine comme si une musique joyeuse venait l'habiter; il est le signal qu'après la rapide attention vient le moment de la plénitude. Et c'est à travers ce sourire que le processus de création aura lieu, donnant à l'oeuvre de Held un caractère ineffable et léger jusque dans ses réalisations les plus monumentales. La part de spontanéité y est aussi essentielle, voire plus, que la rigueur.
Expression de politesse? les oeuvres de Held masquent les heures abrutissantes de travail acharné nécessaires pour produire ce qu'il crée. Comme si tout était érigé en un rien de temps. Comme s'il ne travaillait pas. Du grand art, quasi cinématographique dans son émotion immédiate.
Si on les regarde de près, ces oeuvres, on y décèle, outre le talent pour la belle ouvrage et le perfectionnisme, celui de revenir au monde des fermiers, des explorateurs - ou des scouts : l'ingéniosité se dispute à l'importance du matériau, pierre, béton ou bois. De l'utilisation des tensions des câbles et des poulies, de la pérennité de la pierre, de la plasticité du béton, de la noblesse du bois, du détail des poignées de portes, des dallages aux dessins très étudiées, mais sans fioritures... de l'inconscient quaker auquel on ajoute une pincée de festif... Losanges d'influences qui trouvent toujours une cohérence finale.
Touche-à-tout de génie, tu as aussi brillé dans la photographie, mise à l'honneur il y a quelques années par la Voz Galerie. Tu y sublimes l'innocence de l'après-guerre, les quartiers prolbaques, les bienheureuses vacances sans un rond.
Je reviendrai te voir, si tu le permets. Pour entendre parler des temples japonais, des vanneries sardes, d'Otto Frei, de l'Afrique, de la dignité à redonner aux artisanats du monde, des solidarités à exacerber, des identités à retrouver, de l'amour du cinéma à partager, des gestes limpides des ouvriers maçons à admirer. Avec toi il n'est pas question "d'il était une fois", en fait : il est question de toutes les fois où il faut essayer de faire ce qu'on a envie. Avec le sang et les larmes, mais aussi avec l'optimisme - ta marque de fabrique.
"La beauté sauvera le monde", disait Dostoiveski. Je n'en suis hélas pas sure. Mais la tienne est bienveillante, encourageante, lumineuse à défaut d'être salvatrice.
Alors, comme tu te contrefous de la postérité, laisse-moi t'exprimer mon admiration pour tes travaux de chaque instant : il te reste une école d'archi à créer, des maisons à terminer, des livres à écrire, de la joie à donner.
Pour les livres du passé : en voici deux.
Et pour le témoignage de ta rigueur exubérante - si on peut accoler les deux mots - , c'est ici et c'est une jubilation à le visionner
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