J'envie celles et ceux qui n'ont jamais lu Changement de décor, Thérapie, La chute du British Museum, Un tout petit monde ou encore Jeux de maux. Ils ont la joie de découvrir un des romanciers anglais contemporains les plus doués pour la satire. Style solide, sens du dialogue parfait, drôlerie, loufoquerie, autodérision à tous les étages... Peut-être parfois un peu trop brillant, mais est-ce vraiment un défaut quand on possède un tel don pour la fluidité...
Acheter les nouveautés de Lodge est machinal, même si ses derniers ouvrages étaient moins amusants sans pour autant être mieux écrits.
Cette année, Lodge nous livre le premier tome de son autobiographie. Verdict : je ne sais trop quoi en penser tant l'exercice est différent de sa production habituelle.
Première surprise : la lecture est laborieuse, lourde, grise. Deuxième surprise : c'est carrément mal écrit. Lodge est né dans une famille modeste et catholique du sud de Londres. En général, les romanciers donnent un ton particulier à la description de leur enfance - c'est souvent la partie la plus réussie de leur ouvrage, la plus poétique. Là, à travers les descriptions ternes de parents pauvres mais aimants, on comprend que Lodge a eu une enfance heureuse, sans histoires, qu'il était déjà doué enfant pour l'écriture et qu'il a compris rapidement qu'il était fait pour cela. L'enfant grandit, va sans surprise dans une université littéraire, travaille avec acharnement, se marie jeune par amour et passera sa vie entre sa chaire à l'université de Birmingham, ses romans et sa vie de famille. Et c'est tout. Il rencontre des collègues "charmants", merveilleux", son meilleur ami a un "humour dévastateur", la petite famille passe un séjour idyllique aux USA dans les années soixante, sa femme est attentionnée, les deux sont catholiques progressistes, engagés de façon nuancée religieusement et politiquement. Ils sont aussi cultivés l'un que l'autre, et Lodge va nous disséquer chacun de ses examens avec une méticulosité qui frise l'ennui mortel (éloge de Joyce, intertextualité, de l'influence des romanciers catholiques dans la littérature anglaise du XIXe, etc). Si Lodge romancier a quelque chose de Goscinny, Lodge en tant qu'humain est bien plus proche d'Agnan. Né au bon moment est un livre de premier de classe avec les défauts du premier de classe : rien ne déborde, rien ne chante. Il n'y a pas de mélodie. La vie est aussi atone qu'aride. Elle se déroule presque uniquement autour des succès/échecs universitaires et littéraires. Un tout, tout petit monde... Un monde particulièrement verbeux, voire pontifiant et c'est presque gênant de lire Lodge pontifier à ce point, lui, si aérien dans ses romans... je me serais volontiers passée de phrases comme : " Je l'admirais pour cela, ou plutôt je m'émerveillais pour reprendre l'étymologie latine de ce mot".
A la page 478 à laquelle j'étais arrivée avec effort, j'ai enfin senti une émotion. Elle vient d'un drame que je ne veux pas dévoiler : "C'a a été pour moi un choc considérable. Je croyais être monté dans un ascenseur qui allait nous porter ma famille et moi à des niveaux de plus en plus élevés d'épanouissement, de plaisir et de bonheur, et soudain il venait de se bloquer de manière irréparable."
Mais cette émotion nous est refusée et on retombe dans la lutte pour les postes universitaires, les appels à l'éditeur, les amis sympas, le travail de construction d'un nouveau roman.
Ce livre n'a aucun intérêt pour un lecteur exigeant, il n'a ni style, ni poésie. Mais il a deux grandes qualités si on aime écrire: c'est un ouvrage très sincère. Et c'est aussi un livre qui montre à quel point le travail d'écriture est un travail ouvrier, artisanal, lent, discipliné, souvent lugubre, répétitif, banal, presque ingrat. Comme tout art. Ce livre montre aussi combien la base classique de Lodge lui a permis de tordre le cou à ce conservatisme naturel, et combien sa maitrise parfaite et souvent rébarbative de sa langue natale est son meilleur atout pour explorer la transgression, l'insubordination, l'ironie, le gag.
Je sors tout juste de ce gros ouvrage sentencieux, plus verrouillé que pudique, plus travaillé que véritablement écrit. Je suis allée au bout par respect pour Lodge, romancier enchanteur. Et je me suis posé la question : Lodge est devenu sourd il y a quelques années ; est-ce que cela a pu amenuiser ses facultés mélodiques, rythmiques?
Je quitte ce livre songeuse, un peu déçue, un peu triste. Mais par le pouvoir du souvenir, et pour les éclats de rires que Lodge m'a procurés, il conserve tout mon respect.
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