- Quoi, tu prends des taxis "normaux"? tu n'as JAMAIS essayé Uber? Mais fais-le, c'est génial, ils sont bien plus sympas que ces cradingues désagréables et racistes qui ne pensent qu'à nous entuber.
Je me tortille sur une patte à écouter ce genre de phrase qui revient de plus en plus dans la bouche de mes potes, et je ne sais pas trop quoi répondre. Parce la vérité est là : je suis l'idole des chauffeurs de taxi. Entre eux et moi, l'histoire dure depuis longtemps. Je les écoute, je ne les prends pas pour des robots racistes, si je les sens bougonner, je lance un : "oui, mais comme Paris est beau... C'est la plus belle ville du monde, non?" qui les désarçonne et les fait sourire de plaisir. Il y a le Breton, l'Iranien, le Polonais, celui qui aime tellement ses enfants qu'il a mis plein de dessins de sa fille dans le cab, il y a le mélancolique à la recherche du grand amour, il y a celui qui rêve de sa prochaine retraite mais qui a peur de s'emmerder, il y a celui qui sort d'un divorce saignant, celui qui fait vivre ses parents, celle qui élève ses enfants avec sévérité et respect (je l'adore, elle)... Je LEUR parle beaucoup. Et je sais qu'ils m'aiment bien parce que je suis toujours très polie avec eux.
C'est vrai que je prends souvent le taxi. J'ai cette chance, ce privilège. A force, ils me connaissent (j'ai même été au pot de départ de l'un d'eux, le QG des taxis se trouvant porte de Saint-Cloud). ils me donnent les adresses de leurs restos routards préférés. Ils m'ont vue pleurer de chagrin. Ils m'ont consolée. Ils m'ont respectée. Ils viennent même parfois chez YOK. Alors non, je ne prendrai pas Uber parce que ne veux pas leur faire de tort. En 20 ans de taxiwoman, je ne suis tombée qu'une fois sur un dingue qui avait dans l'idée de se foutre en l'air et moi avec - j'avais stoppé la course en prétendant un point d'arrivée imaginaire. Mais c'est une exception notable, les autres m'ont fait découvrir leur musique préférée, me passent du Bach par Gould, du blues, me font découvrir un peu de rap... tout ce que je veux.
Je suis l'idole des chauffeurs de taxi et la martyre désignée des infirmières et des médecins hospitaliers. Là, c'est exactement l'inverse : mon côté hyper gentil et aussi très angoissé appuie sur le coté sadique larvé dans les entrailles du pouvoir médical. Je suis trop souriante pour eux, ça les agace suprêmement. De toute façon, pour être très bien soigné à l'hôpital à présent il faut hurler plus fort que les autres, être odieux et parano. Sinon, si vous êtes cool, on vous oublie ou on se moque de vous. Et ça, crier et taper l'esclandre, je ne sais pas faire. Le mythe de l'interne charitable, sans moi. Le mythe du connard taxi driver... sans moi non plus.
Joe le taxi, c'est ma vie.
Je ne prends pas le taxi, même quand je vais à l'aéroport où je me gare dans les parkings longue durée, où je me fais emmener par quelqu'un que je connais. C'est mon côté timide qui parle.
Rédigé par : Le Nain | 22 juin 2015 à 15:59