Tout est venu d'une conversation avec un ami architecte harassé. Il me confiait le stress de son travail, les exigences démentes de ses clients, leurs lubies modeuses, leurs addictions aux applications numériques, digitales, que sais-je, leurs hésitations capricieuses... Leur côté moutonnier sans le savoir.
- Ils sont accros à leurs tablettes, le 3D est leur graal...
J'ai souri.
- Plus il y a de technicité, plus il y a une vision plate de l'existence. Les gens ne voient plus les volumes, les couleurs, dans l'immédiateté leur imaginaire s'atrophie. C'est comme cette manie des selfies.
- Ca, Patrick, les selfies..., c'est pour moi un mystère. Je n'ai jamais compris leur signification. Est-ce pour garder une trace de son temps de vie ? La plupart du temps le selfiste s'enlaidit : les angles de vue sont affreux, le gros plan difforme est impitoyable ; le joufflu devient bouffi, le maigre prend une tête de rongeur, celle qui a un grand front semble souffrir de malformation crânienne ; les selfies sont sortis d'un manga japonais particulièrement raté. Alors pourquoi se prendre en photo si c'est pour être hideux?
Patrick s'est mis à rire
- Valérie, avant, il y avait les portraits de groupe. Nous étions photographiés en bande d'amis, collègues de bureau, équipe de sport... A présent, nous rétrécissons notre champ de vision à nous-mêmes. C 'est terrifiant. Et plus nous nous rétrécissons, plus nous agissons comme des esclaves des tendances. Tiens, même Charlie, c'est devenu une tendance. On a son Facebook. Certains l'utilisent comme une sorte de journal de bord - je crois que c'est ton cas. Mais ce n'est pas un hasard s'il s'appelle un MUR. Un vrai cauchemar de Pink Floyd
- Tu crois qu'on se photographie pour trouver sa vérité ? Un ami a fait un parallèle entre les selfies et les autoportraits de Rembrandt.
- Le va-et-vient entre le miroir, la toile, la palette, le temps passé à se saisir, à capter les effets émotionnels de l'expérience de la vie sont presque à l'opposé de ce clic instantané. Ce clic est une synthèse détraquée de ce que nous sommes.
Nous avons terminé notre café, nous nous sommes embrassés sur une blague, puis je suis repartie, songeuse. Je vois passer des tas de selfies sur la toile. Le pire ce sont les personnes vivant en couple qui "s'autophotographient". Sont-ils donc si seuls, même mariés, n'ont-ils personne pour les regarder, les portraiturer ? le selfie est l'expression d'une telle solitude... Rien que le mot est abominable. Pourtant, j'aime le mot "autoportrait". La vérité ne passe pas par le selfie, j'en suis sûre. Mais j'aime la trace des âges de la vie. Comme j'aime voir mes enfants devenus de jeunes adultes feuilleter les albums de photos soigneusement gardés dans la bibliothèque et glousser en se retrouvant petits et insouciants. La vie s'étale, chaque temps se contemple avec curiosité, effarement, parfois.
La vérité a besoin de prendre une longue respiration.
Le plus souvent, c'est l'autre qui vous la donne.
Bel article, qui distingue bien autoportrait et selfie, l'un est un terme français, qui se donne du temps, et bénéficie d'une riche histoire picturale, l'autre un anglicisme proche de "selfish".
Rédigé par : D | 21 février 2015 à 11:50
Je contemple parfois de très vieilles photos datant des années 20 ou 30 du siècle dernier récupérées chez mes grands-parents, un peu passées et usées par le temps. Si j'arrive à recconnaître mes aieux, qui sont les gens qui les entourent ? Certainement des membres de la famille qu'il m'est impossible de nommer.
Je n'ai fait que très peu de photos, aucun film. C'est inutile, tout cela disparaîtra dans la poussière du temps.
Rédigé par : Le Nain | 23 février 2015 à 07:37
Je crois au contraire que garder des traces de son passage et du passage des autres est qq chose de très important.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 février 2015 à 18:25