C’est un peu l’effervescence en ce moment : les commandes arrivent tous les jours chez YOK, les vitrines changent, l’automne s’installe et avec l’automne, le chatoiement des coloris chauds succède aux tons bleutés de l’été. Cet après-midi, un journaliste à la retraite est entré dans la boutique. J’étais hirsute, mal coiffée, avec l’air possédé –yeux exorbités – que je prends lorsque je dois me concentrer sur une mise en scène. Je n’avais pas beaucoup de temps à consacrer à ce monsieur ; je mettais un point final à la nouvelle thématique YOK, j’étais dans la période « accessoirisation » (où placer tel vase, comment optimiser telle table, quel objet sacrifier pour ajouter tel autre, les zones froides, les zones chaudes, etc…).
- Pardonnez-moi de vous déranger. Je suis juste entré pour vous dire que je passe tous les jours devant chez vous, et j’adore votre sens du décor. Vous semblez beaucoup aimer l’architecture.
- Oh, merci ! (Mèche dans l’œil évacuée prestement.) Oui, j’aime, j’adore l’architecture. Vous savez, cette boutique, je l’ai ouverte pour rendre hommage à mon mari qui était architecte. Nous nous aimions, il est mort d’un cancer il y a un an et demi, mais notre gaieté reste intacte. Ce n’est pas triste, rassurez-vous. Ou plutôt ça n’est plus triste.
- Comme c’est beau ! Chapeau ! Vous avez un sacré sens de la mise en scène en tout cas.
- La mise en scène, c’est la vie. Tout est mise en scène, un salon, les vêtements et même les sentiments. L’amour est aussi une mise en scène – bien sûr s’il n’y a QUE la mise en scène, c’est affreux - mais on peut toujours rendre les choses encore plus belles. Je rêvais lorsque j’étais gamine d’être réalisatrice de films. Ou écrivain. Romancière, je l’ai été. Là, je change de métier. Mais dans cette boutique, je fais un travail un peu similaire, je raconte d’autres histoires…
- Je suis totalement d’accord avec vous ! Il faut aller vers ses curiosités. Tenez, j’étais sur France Inter puis j’ai basculé sur une autre radio sur laquelle je parlais du temps des cathédrales alors que je ne connaissais rien à l’art gothique… La radio, c’est autre chose, il faut un égo terrible. Peut-être ai-je un égo trop fort, je ne sais pas. Je vais vous laisser, je ne veux pas vous déranger.
- Vous ne me dérangez pas ! Asseyez-vous sur ce fauteuil, je viens de le recevoir, testez son confort, il est parfait : vous voyez, c’est un meuble très intéressant. Il a été créé en 1957 pour le Paulistano athletic Club de Sao Paulo par l’architecte du bâtiment qui s’appelle Paulo Mendes Da Rocha. Da Rocha est un architecte brutaliste. Béton, matière brute. C’est une armature en carbone phosphaté, revêtue d’une housse de cuir ou de coton. J’aime son aspect à la fois spectaculaire et chaleureux. Il est fait en France car c’était trop compliqué de le réaliser au Brésil, à cause du cours du réal qui est trop fluctuant.
- Il est magnifique… Merci pour ce premier contact. J’ai des cadeaux à faire à la femme que j’aime. Lorsque vous aurez plus de temps, nous verrons cela ensemble. Les grandes amoureuses sont douées pour les cadeaux et vous en êtes une, c’est évident.
Je suis devenue pivoine.
C’était un jour à Boulogne en direct de chez YOK
(Je recherche le nom d’un ancien journaliste d’Inter habitant à Boulogne… Qui est cet homme mystère…)
Pour les lecteurs du blog : un festival Da Rocha, pour le plaisir des yeux.
Et un festival Gene Kelly raconté par Christopher Walken, car plus j’avance, plus je constate combien j’ai été marquée par ce qu’on appelle le deuxième âge d’or hollywoodien. Gene Kelly est à ajouter au sommet de mon panthéon personnel des stars. Cet homme capable d'autant d'imagination, d'autant de perfectionnisme, d'autant de sens du spectacle a été aussi capable de tout arrêter alors qu'il était au début de ses grands succès pour participer activement à l'effort de guerre. Quand on est ambitieux, esthete et qu'on plaque tout momentanément pour une cause plus importante que ses rêves, on mérite la distinction supême. Gene l'obtint : après 45, on ne l'avait pas oublié, bien au contraire et il fut le maître de ce fameux deuxième golden age (1950-1960).
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