C’est fait, vu. Sortie en miettes. En miettes et en rage. Bon dieu, avoir de tels moments de grâce, de tels acteurs pour nous ficeler un film beaucoup trop long, beaucoup trop répétitif, j’appelle ça une honte. Comme souvent à présent, les Américains partent d’une histoire vraie pour enfiler les lourdeurs au kilo. Le film calibré pour les Oscars ? On le tient, il en fait mal au cul. L’histoire se résume en une phrase : comment un blaireau du Far West 100% hétéro, 100% macho, 100% séropo va combattre sa maladie par des thérapies alternatives et devenir le fer de lance des homos pour rester en vie. Tout y est, nom d’un frémissement de moustache. Tout y est, hélas. Les interminables scènes de shoot travelo-toxico, les injections de traitement en gros plan, les ruades pornos, les crachats de la pneumonie qui s’incruste, le corps qui se transforme en salamandre, le-corps-médical-fatalement-inhumain-sauf-LA-gentille-médecin, la communauté hillbilly des culs terreux de Dallas qui ne pigent rien, c’est bon n’en jetez plus on a compris. Thèse, antithèse, synthèse : au départ, notre héros est un homophobe à la sexualité du niveau de Hustler. Touché par le virus, il se révèle pugnace. Il va se battre contre tout le monde, l’hôpital, l’état, le monde s’il le faut pour finir démoli de chagrin à la mort de son nouveau pote gay. Message subliminal : on peut s’améliorer. Message subliminal bis : la douleur rend plus « grand » (bullshit). BULLSHIT : la douleur ne rend pas plus grand. Elle peut révéler une grandeur, nuance de taille.
Pour autant… Matthew McConaughey et Jared Leto méritent, chacun dans sa catégorie, la statuette dorée. McConaughey, rachitique et ambré, fait friser son regard clair EXACTEMENT AU BON MOMENT. Sa palette d’expression, divine, passe sans transition de la furie à l’humour aussi noir que tendre. Leto, mi-Jim Morrison, mi-Jack Lemmon, spectaculaire en créature au sexe indéterminé, appuie là où ça fait mal et arrache les larmes d’émotion. La scène avec son père est la plus belle scène du film. Si seulement… Si seulement toutes les scènes étaient de cette teneur, de cette amplitude-là… Il y a une bonne demi-heure de trop. Cette demi-heure ruine le propos. Qui trop embrasse mal étreint, qui dilate trop le propos, le noie.
Pour autant bis : je me suis tellement ennuyée à Blue Jasmine, j’ai tellement détesté le cabotinage de la Blanchett que je mets un bémol à ma sévérité. Si cette machine emporte l’Oscar, je serai heureuse. Quand même, j’ai beaucoup, beaucoup pleuré.