Le 13 septembre il y a dix ans, nous nous sommes embrassés pour la première fois. Sidérés par la puissance de notre amour naissant nous avons pris la délicieuse habitude de fêter tous les 13 de chaque mois. Notre vie a été ponctuée par ce genre d’étranges rituels. Nous les avons multipliés. L’an passé, la maladie les a intensifiés. Personne n’a pu lire notre détresse, pas même nous-mêmes.
- Je t’interdis de mourir !, a été ma réponse au terrible verdict.
Et effectivement, dans un premier temps, tu t’es interdit de mourir ; ton pronostic vital en mai dernier était de 4 semaines. Tu as duré un an. UN AN !
Tu n’as jamais su la gravité de ton état. Pour la première fois de ma vie, j’ai du mentir.
Une âme charitable m’a suggéré de te préparer à la mort.
J’ai répliqué d’un ton cinglant :
- Je ne préparerai pas un homme de 52 ans à la mort car je ne suis pas douée pour le suicide.
J’ai modifié mon regard pour toi. Je me suis persuadée d’un miracle. Tu as tenu dans mes yeux rieurs. J’ai élaboré une stratégie qui a été payante. Je t’ai dit :
- Tu as le droit d’être odieux, tu as le droit d’être triste, tu as le droit d’avoir peur, mais tu n’as pas le droit d’avoir peur pour nous ! Jamais ! Nous sommes invulnérables, nous nous aimons tant et tant que personne ne peut nous détruire. Surtout pas une maladie.
Tu as eu un sourire magnifique. J’avais gagné, tu t’es battu avec une classe fabuleuse. Je n’avais plus qu’à t’organiser la vie la plus facile, la plus voluptueuse possible.
Le « oui » fort et juste de notre mariage… Les témoins, Claire, Rachida, Thomas et Benjamin droits dans leurs bottes, alliés souriants…
Avec les médecins, nous nous sommes arrangés. Ils ont compris que tu ne voulais pas savoir. Tu n’as jamais posé la question fatale. Tu m’as d’ailleurs dit que ce serait moi ton interlocutrice. Alors je t’ai caché le fait que la chimio allait être une chimio palliative et non curative. Je t’ai caché mon angoisse majeure : la localisation de ton terrible cancer pouvait à terme te faire perdre la raison. J’ai prié de toutes mes forces un Seigneur que je n’avais jamais trop sollicité ; puisque tes jours étaient comptés, qu’ils le soient en toute lucidité, ai-je supplié. J’ai été exaucée au-delà du tolérable: tu m’as tellement aimée qu’au plus fort de ton agonie, alors que les douleurs neuropathiques te harcelaient, tu refusais la sédation pour me regarder. Pendant des semaines tu m’as regardée sans relâche, et là, j’ai prié de toutes mes forces pour que tu partes rapidement. Tu m’as donné, littéralement, ta vie. Alors, au bout du compte, l’image que je garde et que je déroule sur l’écran de mes rêves est celle de ce 13 septembre, lorsque tu te penches sur moi et que tu m’embrasses d’un fantastique baiser… Ton visage se rapproche de moi, intensément sexy… Tu souris, sur de toi… tu m’enlaces… je n’ai plus de cerveau… puis nous éclatons d’un formidable rire de joie.
"Je ne préparerai pas un homme de 52 ans à la mort."
Tel n'est pas mon sentiment. Votre texte est très juste, très émouvant, et il me touche profondément, mais je ne sais pas trop pourquoi il m'a mis mal à l'aise et que j'ai mis du temps, beaucoup de temps avant de comprendre.
Il faut se préparer à la mort, c'est l'évènement le plus important de la vie, et je détesterais que l'on me cache la vérité, car je souhaite m'y préparer et rien ne me contrarierais plus qu'une attaque cardiaque soudaine.
Mais ce n'est pas un jugement, qui suis-je pour le faire ? C'est juste un sentiment, peut être venu du fond des âges avec un zeste d'ars moriendi. Votre réaction est moderne, la mienne ne l'est pas, peut être est-ce ça le fond de notre divergence.
Rédigé par : Le Nain | 16 septembre 2013 à 16:30
je comprends votre sentiment. Et d'une certaine façon je le partage, moi qui ai eu une maladie terrifiante bien jeune et qui me suis donc tôt préparée à la mort. Mais c'est un exercice impossible pour certains. François faisait partie des grands vivants. Ne pas savoir a été sa volonté explicite et implicite. Il faut aussi respecter les nature "carpe diem".
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 16 septembre 2013 à 17:05
J'ajoute : je ne crois pas être "moderne" car au fond, c'est vous qui l'êtes; il y a 30 ans, on cachait au malade la vérité de son état. A présent, pas de mystère, on vous dit tout, de votre mal, de ce qui vous attend, des souffrances futures, etc. On est passé du secret des mandarins à une vérité parfois insoutenable. je suis pour une vérité assourdie, car comme le dit Dostoievski : "la vérité sans tendresse peut être une injustice".
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 16 septembre 2013 à 17:13
Si telle était sa volonté, il n'y avait qu'à la respecter, ce qui n'a certainement pas du être facile tous les jours.
Rédigé par : Le Nain | 16 septembre 2013 à 17:34
Vous savez, cela lui a permis de partir quand il l'a voulu, c'est à dire dans mes bras et après une année de délice amoureux. Sa lutte pour vivre est un corollaire de sa mort, d'une certaine façon. Il était très aimé à l’hôpital alors qu'il n'était pas précisément un patient facile. mais il était drôle, résistant à la douleur, courageux, assez royal dans son genre. Il a réussi un truc incroyable : donné pour perdu en février, il a ressuscité et a obtenu de passer les 15 premiers jours de mars à la maison. on en a pleuré de joie, même s'il ne pouvait plus marcher. Après, dès qu'il est retourné à l’hôpital vers le 15 mars, c'était la fin. Et il l'a vue.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 16 septembre 2013 à 18:19