Durant ces vacances il s’est passé un phénomène étonnant : je n’arrivais plus à lire à mon rythme normal, c’est-à-dire un rythme échevelé. J’ai mis un certain temps à comprendre pourquoi : tu lisais aussi avec moi, mon amour, tu lisais collé à moi et toi, tu as besoin de lenteur. Il y eut lutte entre nous: qui allait gagner, moi qui massacre les livres et les plie en deux sans cérémonie pour marquer la page, ou toi, accro à chaque virgule, refermant l’ouvrage en le laissant aussi propret qu’avant lecture ? J’ai opté pour un entre deux. J’ai continué à souligner les phrases qui me plaisent, mais j’ai acquis la discipline du marque-page. Comme d’habitude, nous avons lu un peu de tout, pas d’élitisme pincé, pas de « je suis cultivé(e) et fier(e) de l’être. » La curiosité avant toute chose et pour cela je préfère les biographies de rock star. Pourquoi les rock stars ? Pour se demander comment un être qui rassemble un tel degré de ferveur arrive à tenir debout (ou non). Une biographie sortie avant l’été : celle de Bruce Springsteen. Nous n’avions jamais été fans de sa musique, mais nous aimions la personne, son charmant sourire, sa grande humilité. Nous avons commencé poliment. A la cinquantième page, j’ai senti de ta part un discret soupir.
- Quel ennui, ma chérie… ces longues descriptions de sa famille dépressive… cette interminable litanie des banlieues du New Jersey… ces tunnels pour nous faire comprendre qu’il aime gratter sa guitare dans la crasse des squats…
- Patience, mon Ingalls, peut-être l’énergie rock va-t-elle surgir…
- Déjà, si l’humour pouvait arriver… C’est d’un chiant ton truc !
Au quart du livre j’ai tout bonnement arrêté. Ingalls avait raison, c’était définitivement plat, bourrin et pas drôle du tout. Un livre minutieux, une gentille bio tâcheronne écrite par un fan respectueux. Verdict cruel à la Ungemuth : pas une seule fois je n’ai senti le bouillonnement du rock. Sans regret, j’ai laissé le livre au propriétaire de la location de la maison des vacances.
Puis, pérégrinant à la librairie du Ferret, je suis tombée sur l’autobiographie de Rod Stewart.
- Quoi ? Rod sait écrire ?, ricanes-tu de Là-haut. Tu as vu la couverture avec sa perruque peroxydée ?
- Justement ! Au moins c’est rock ! Et puis il est né le même jour que moi, c’est bon signe.
- Ok, ok… Surprends-moi.
Ca commence par une trouille dans un avion qui t’a fait éclater de rire. Je le jure, je t’ai senti rire. Ça continue avec une enfance hilarante quoique miséreuse dans la glauque banlieue du Londres d’après-guerre. Comme toi, Rod aime les trains électriques de façon déraisonnée. Comme moi, il adore les fantaisies capillaires. L’Ecossais ralpince, amateur de blondes et d’autodérision, de luxe et de fringues de fille, a la plume alerte et le sens de la blague. Je ne vais pas compter nos fou-rires, ils furent trop nombreux. Passons sur les déplaisants passages d’une stupidité digne d’un Roger Moore lorsque Rod atteint gloire et fortune : là, il devient assommant de prétention et d’oisiveté malsaine. Mais vers la fin, quand il se réveille après son premier chagrin d’amour, on retrouve le mélange adorable et typiquement britannique du classieux-vulgaire, du blaireau-seigneur qui est la patte de la musique pop anglaise.
Sa vision de la psychanalyse est proche de la tienne : tu as toujours exprimé une méfiance limite agressive envers le mysticisme et les psys.
Quand Rod, parlant de sa première épouse, note qu’elle plonge dans le new age, j’entends tes gloussements :
« Alana se mit à acheter des ‘bougies votives’ au magasin House of the Hermetic de Los Angeles. L’idée était de réaliser vos vœux en les écrivant sur un bout de papier que vous placiez sous la bougie. J’étais très dubitatif. Si elle avait réussi à améliorer les scores de l’équipe écossaise, peut-être me serais-je laissé convaincre. Faute de cela… non merci. Elle se mit aussi à fréquenter divers cours de découverte de soi, le genre où on tape à coup de manche à balai sur un sac en cuir en hurlant qu’on déteste son père… »
- Hou hou, taper sur un sac en criant qu’on déteste son père… Tu as raison, cette bio en vaut la peine.
Quand aussi, à moitié ravagé par le départ de sa deuxième femme, Rod broie du noir. Des amis lui suggèrent une thérapie. « Pour moi, c’était comme un repas chinois : cela vous cale sur le moment, mais une heure après vous mourrez de faim. Evidemment, je suis anglais. Nous ne sommes pas très portés sur la psychothérapie. Notre méthode de base, ce sont les tasses de thé bien fort, quelques biscuits au gingembre et on serre les dents. »
- Bon sang, tonne Ingalls, allume la bouilloire, et envoie les biscuits !
Le Seigneur sera indulgent : on a le droit de lire des bêtises sur la plage.
Magnifique Valérie, merci.
Rédigé par : Florentine Friedman. | 25 août 2013 à 17:50
Magnifique, certainement pas. Mais guidée par un magnifique amour, oh oui
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 25 août 2013 à 22:13
Pour que "ta joie demeure" petite Vale et parce que.......
La dernière phrase te ressemble
http://youtu.be/E0hD5X7Kiog
Rédigé par : nad | 26 août 2013 à 09:02
Oui, que la joie demeure. Je ne connaissais pas cette chanson, ni son interprète, honte à moi. C'est curieux que vous m'appeliez "petite Valé" car ma grand-mère m'appelait ainsi, et je doute que vous ayez le même âge qu'elle (93 ans si elle était toujours en vie, elle est morte à 90 ans tout de même)! J'avoue - ne le prenez pas mal- que le petite me gêne : j'arrive à un âge qu'on peut qualifier de "mature", et petite, même si l'appellation est affectueuse, a des échos pour moi d'irresponsabilité. mais vous me donnez l'idée d'une prochaine note, dans laquelle Agatha Christie se mêlera de puérilité. je vous embrasse, chère Nad
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 26 août 2013 à 14:21
J'ai beaucoup de mal à lire en ce moment, je tourne en rond, entre bouquins que je trouvais fort bien avant et que je trouve enquiquinant à la relecture, et des livres que j'ai déjà lu dix fois et dans lesquels je ne trouve pas d'éclairage nouveau, ce qui est rare dans mes grimoires historiques.
Deux exceptions, Servir l'état barbare dans la Gaule Franque de Bruno Dumézil, qui m'a m'a énormément surpris par son analyse, et qu'il va falloir que je relise tellement il bouscule mes certitudes, et Histoire de la justice, France XVIème-XXIème siècle de Benoît Garnot, qui montre qu'au delà des nombreuses réformes la permanaence de l'institution judiciaire au travers des âges, et que les sanctions pénales n'étaient pas plus dures hier qu'aujourd'hui.
Sinon, polars, beaucoup de polars, hélas. Pas envie d'autre chose.
Rédigé par : Le Nain | 27 août 2013 à 09:11
Message précédent lire: "Chère VALERIE"....et "...plus que toutE autre chose.. "
Rédigé par : nad | 27 août 2013 à 10:41
@Le Nain : moi aussi, beaucoup de polars. Essentiellement les nouvelles enquêtes du juge Ti, pour son cadre historique, son personnage sarcastique, et son raffinement.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 août 2013 à 12:56