Mon amour,
Je ne vais pas trop te raconter Israël ; tu n’aurais
pas aimé ce pays. Tu n’aurais pas aimé son âpreté, sa dureté, sa légitime méfiance. Son criant
manque de civilité. « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort »,
parait-il ? Foutaises ! Ce qui ne vous tue pas laisse des traces. Se
balader dans les confins du croissant fertile est aussi enrichissant que
déprimant, et Uderzo a résumé la situation en une vignette. Du Tigre à l’Euphrate,
de l’Oronte au Jourdain jusqu’au Nil, un
seul mot d’ordre : la QUERELLE.
Mais
cessons la géopolitique, sensible depuis l’âge du fer dans cette région
passante (surtout ne pas se mêler de la Syrie). Un lieu a provoqué la grâce :
PETRA. Je l’ai vécu collée à toi. La
cité nabatéenne est tellement surprenante que rien ne prépare à son écrasante
beauté. Ni le coucher de soleil sur sa vallée, prometteur de mystère.
Ni les
films, bd sur le sujet. Tu entres dans Petra, tu entres dans le silence. La présence
de 1500 touristes dans un site de 20 km est poussière invisible, poussière
assourdie par le sable sous tes pieds. Après le premier virage, tu es encerclé
par des roches bleues cuivrées, blanches, roses et or. Tu serpentes dans un
territoire qui est en soi un bijou. Un gigantesque bijou. Tu t’accoudes à d’antiques gouttières
ingénieuses en cas de crues. Tu lèves le regard et tu surprends des frontons
mi-grecs, mi-égyptiens. Tu es chez les princes du désert, chez les grands
commerçants de la route de la myrrhe qui exportaient depuis le golfe d’Aqaba
jusqu’au port de Gaza à l’époque des Ptolémées. Nous sommes au premier siècle
avant JC, Rome puis Byzance n’ont pas encore donné le coup fatal à ce riche
commerce. La ville a 35000 habitants. Il y a un théâtre, des habitations, des
tombeaux royaux. La vie et la mort sont entremêlées à l’égyptienne. Dans ce
paysage minéral, l’homme crée un diadème. Tu titubes d’admiration dans l’étroit
chemin qui mène au Trésor. Et soudain, de l’obscurité il jaillit, dans sa
parfaite perspective. Et là, j’ai dit au guide de me laisser seule un court
moment. C’est le lieu le plus beau que j’ai vu de ma vie ; je voulais
sentir tes bras pour le sublimer un peu plus. C’est si beau que le désespoir de
la solitude n’existe plus. Tu ne peux qu’être là. Mon amour, cette photo prise
par le guide attendri par mon éblouissement est pour toi.
Balayés, les gens qui se détestent. Balayés, les sites archéologiques des contrées avoisinantes. Balayées, les cupidités humaines. Tu es le roc qui me permet de m’émerveiller devant les scintillements du soleil sur la pierre, la gentillesse bédouine, le pouvoir du murmure. « C’est à voix basse qu’on enchante ». Tu es mon enchantement.
La plus belle chose que j'ai vue est la nuit tombant sur les ruines des temples grecs d'Agrigente, et j'ai songé aux vers de Shelley :
'My name is Ozymandias, king of kings:
Look on my works, Ye Mighty, and despair."
Rédigé par : Le Nain | 21 juin 2013 à 16:35
Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime ;
Ne riez pas trop haut.
C'est à voix basse qu'on enchante
Sous la cendre d'hiver
Ce coeur, pareil au feu couvert,
Qui se consume et chante.
Paul-Jean Toulet, un poète qui m'est cher
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 21 juin 2013 à 17:12