Régine Crespin (1927-2007) fut ma cantatrice, ma diva préférée. Je devais avoir 12 ou 13 ans lorsque je tombai sur un article de journal consacré aux grandes divas du moment. Elles étaient photographiées sur scène. Une seule éclatait de vie: La Crespin. Une seule était française: La Crespin. Si ronde, si belle avec ses yeux un peu lourds, arrivant à exprimer conjointement la joie et la tristesse.
Avec le Don Giovanni de Losey (un film que je n'aime pas), l'opéra était devenu à la mode en ces années-là. J'en ai profité pour me plonger dans le parcours de celle qu'on avait surnommé "La lionne". Je dois être une des rares dans ce pays à l'avoir idolatrée. Car s'il était de bon ton de se pâmer sur l'expressivité de Callas, la pureté de Tebaldi, la puissance de Caballe, Régine Crespin a été scandaleusement laissée de côté par son propre pays alors qu'elle a porté le chant français à son plus haut niveau. Elle avait une voix superbe et surtout, une diction parfaite: on ne perdait pas un seul de ses mots, pas de voyelles escamotées. J'ai retrouvé ce phrasé si clair, si pur, chez Roberto Alagna. Née à Marseille, jeunesse nîmoise, grand-mère italienne, Crespin était latine. Mangeuse d'hommes, généreuse, drôle, spontanée.
Elle fut une légende en Argentine. Acclamée à Bayreuth et au Met. A participé à la création du Dialogue des Carmélites. Fut une Carmen d'anthologie. A été une grande professeur de master class à San Francisco. Et à Paris, me direz-vous? J'ai honte de mon pays: la France l'a boudée, l'a ignorée et même une fois huée. Et pourtant elle était si française, la Crespinette! Volubile, perfectionniste, amusante! Ses grands rôles? Kundry dans Parsifal -elle était arrivée à Bayreuth en 57 sans parler un mot d'allemand et fut l'année suivante une des plus belles Kundry de l'histoire. Née pour chanter Isolde, elle refusa toujours, par peur de ne pouvoir égaler la tenante du role, Kirsten Flagstad. Autre rôle fétiche: la Maréchale du Chevalier à la rose. Puis, plus tardivement, en 1974 elle enflamma le Met en bondissant sur scène, danseuse s'accompagnant de castagnettes pour donner une vision suicidairement gourmande de Carmen. Lisez donc ses mémoires, voyez comment ses douleurs furent son combustible, comment elle eut à chaque instant de sa vie la politesse des faux joyeux. Riez de son alacrité. Dévorez ses conseils techniques et sa pédagogie altruiste de professeur de chant. Vibrez à ses succès. Pleurez à ses chagrins. Vivez ce qu'est l'existence d'une prima donna. Laissez-vous submerger par sa tendresse de Marseillaise.
Je laisse le mot de la fin à l'hommage que lui rendit Sylvain Fort :
Les Grecs savaient déjà qu’il est des êtres hantés de naissance par quelque divinité, et transportés, et consumés par elle. Ils les appelaient des enthousiastes. Nous disons : des inspirés. Et ils s’imaginaient les femmes possédées de cet instinct se livrant la nuit à des chants et des danses lascives et dévorantes. Dans quelques-unes de nos modernes divas, nous reconnaissons la survivance des servantes du dieu Pan. Elles déchirent les impavides, détruisent les tièdes, et entraînent les autres à des débordements insoupçonnés. Chez les Grecs, on adorait, on redoutait, on invoquait ces brûlantes prêtresses, les Bacchantes.
Ainsi faisait Régine Crespin, suscitant passions, effusions, délires sans perdre la conscience nette de la vestale. Pour elle, allumons des feux dans les champs d’olivier, dansons autour du bûcher et frappons du pied la terre nourricière : la dernière Bacchante est morte.
Baisers de la pine'up "le bonheur est salutaire pour le corps, mais le chagrin développe les forces de l'esprit" (Proust)
Non vous n'êtes pas seule. J'adorais Régine Crespin que j'avais vu dans les années 80 (?) aux Chorégies d'Orange (j'y étais militaire et j'y habitais)...
En effet, la France, à part la faire chevalier, puis officier et enfin commandeur de la Légion d'honneur, n'a jamais su mettre en avant cette grande voix.
Rédigé par : adamastor | 23 juin 2012 à 14:34
Ah, Flagstad dirigée par Furtwängler avec Fischer-Dieskau dans Tristan und Isolde, je n'ai jamais trouvé mieux. Il y a un air d'Europe disparue à chaque fois que j'écoute un orchestre dirigé par Furtwängler, et ça me rend d'un triste ....
Rédigé par : Le Nain | 23 juin 2012 à 14:44
@adamastor : ce qui fait mal, c'est de voir la pauvreté de ce qui est marqué sur Crespin dans le wikipédia français et combien elle est honorée sur le wikipédia anglo-saxon http://en.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gine_Crespin
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 23 juin 2012 à 16:41
@Le Nain: Crespin plaçait Flagstad si haut dans Tristan und Isolde qu'elle n'a jamais pu se résoudre, en dépit des suppliques de Wieland Wagner, à étudier ce rôle.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 23 juin 2012 à 16:44
Merci Valérie pour le lien.
@Le Nain, en vantant les qualités de Furtwängler vous risquez gros. Sopo veille... Certains imbéciles le prétendaient pro nazi, alors qu'il n'était que pro musique.
Rédigé par : adamastor | 23 juin 2012 à 20:50
Dur de faire de la politique lorsqu'on parle de musique classique. Les Allemands sont essentiels. Vivre sans Bach... Une anecdote sur Flagstad que Crespin, alors débutante, a vu lors d'une représentation de Tristan à l'Opéra: elle louvoyait sur ses 130 kg et biberonnait un peu de cognac en douce tout au long de la représentation. Mais Le Nain a raison: l’enregistrement dont il parle appartient à la légende.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 23 juin 2012 à 21:05
@Valérie
Concernant Wikipedia, cela est tout à fait normal. Quel que soit le sujet, la version anglaise est quasiment toujours plus complète du fait du plus grand nombre de contributeurs. :)
Rédigé par : Fredouat | 24 juin 2012 à 15:44
O tempo'a O mo'es! (tu me rassures, merci)
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 24 juin 2012 à 15:51
Super, je suis pris d'un fou-rire étouffé au téléphone (avec ma mère, j'écoute donc à moitié) à cause de ta blague. :D #viveastérix
Rédigé par : Fredouat | 24 juin 2012 à 20:58
Bonsoir cochonnet!
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 24 juin 2012 à 21:22
Menfin Mimine...
Rédigé par : Fredouat | 25 juin 2012 à 10:37
Bouhouhouhou j'ai gâché ma vie pour un homme qui n'a pas plus de cervelle qu'un gros marcassin! j'aurais du écouter ma mère!
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 25 juin 2012 à 10:41
@ adamastor. Je suis très peu sensible au politiquement correct et au tout noir et tout blanc. Tout est gris, comme les chats la nuit. Il y a eu une très bonne pièce de théâtre sur ce sujet intitulée " A torts et à raisons" avec Michel Bouquet dans le rôle de Furtwängler et Claude Brasseur dans celui de l'américain. La pièce est publiée chez Acte Sud.
Rédigé par : Le Nain | 25 juin 2012 à 12:20
@Le Nain: je prends note de la pièce que vous mentionnez. J'ai également un conseil à vous demander au sujet de l'ouverture de Tannhäuser. je ne suis pas une mélomane pointue et pas une spécialiste de Wagner. Mais s'il y a une musique qui serre mon coeur comme un étau, c'est cette fameuse ouverture. pardonnez mon manque de technicité dans l'explication qui va suivre; à chaque fois que les cuivres s'envolent et que les violons, eux, dégringolent, j'ai envie de rire et pleurer en même temps. Quel est le meilleur enregistrement pour vous? J'aime celui avec Solti aux manettes.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 25 juin 2012 à 12:45
Incontestablement, c'est Solti pour Tannhaüser qui a ma préférence. Celle de Sawallisch à Bayreuth en 1962 suit juste derrière.
Rédigé par : Le Nain | 25 juin 2012 à 14:35
Pour vous http://www.youtube.com/watch?v=OomkOrOl8WM
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 25 juin 2012 à 14:44