Prodigieuse Margaret Thatcher, et prodigieuse Meryl Streep. Voilà ce qu'on se dit en sortant du film de Phyllida Lloyd vu en avant-première (sortie en salle le 15 février prochain).
On peut rapprocher La Dame de fer de J. Edgar au total discrédit du dernier; en effet, la trame est la même : deux des personnalités les plus puissantes du XXe siècle se penchent à l'hiver de leur vie sur leurs destinées politiques. Mais alors que dans J. Edgar cette construction est lourde, assommante et mal montée, dans The Iron Lady, la vieillesse devient un combat passionnant.
L'angle choisi par la metteur en scène est certes discutable (montrer Thatcher hagarde, farfouillant dans le tri de son cerveau défaillant), il évite cependant le piège casse-gueule du pathétique. Car Phyllida Lloyd décrit l'hiver de Thatcher non pas en solitaire, mais en couple: le fantôme de son mari Dennis, lutin facétieux et fidèle, rode dans la mémoire visuelle de la Dame de Fer, omniprésent et délicieux. Délicieux, il fallait l'être pour aimer une femme sans doute insupportable au quotidien (ce qui n'est pas montré dans le film), mais l'hommage à Thatcher acquiert une dimension touchante dans cette ode à la complicité conjugale. Il est évident que Dennis le prince consort lui fut indispensable.
Se succèdent ainsi à l'écran les actes d'une vieille femme qui perd sa mémoire en dépit de fulgurances bien senties - formidable passage où elle assène à son neurologue une tirade sur la société actuelle focalisée sur le ressenti et non plus sur la pensée - et des bribes de sa vie politique depuis ses premiers engagements.
L'unique reproche que je ferais à ce biopic: La metteur en scène n'a pas réussi à privilégier une direction. On a autant de scènes sur Thatcher malade que sur Thatcher menant sa vie politique, ce qui donne à l'ensemble un équilibre un peu étouffant, un peu pudding. Lloyd en dit trop ou pas assez. Cette densité provoque parfois la pesanteur.
Meryl Streep est stupéfiante comme elle l'a rarement été: ce rôle était taillé pour elle et elle seule. Elle se glisse dans la peau de MT avec une aisance quasi suspecte. On ne sait plus ce qui appartient au maquillage, au caractère profond de la comédienne ou à Lady Thatcher.
Le monde politique est décrit dans toute sa violence - sa barbarie, le mot n'est pas trop fort - son esprit de caste et sa misogynie que Thatcher écrase en franc-tireuse hors pair. Churchillienne, elle est viscéralement british, épicière revendiquée, amatrice de tailleurs aux couleurs insensées, arrivant à être unique dans la normalité.
Est-ce un film féministe? Oui. Oui, car il décrit la féroce ambition d'une femme pour son pays alors que les hommes politiques dans ce film semblent se cramponner à leurs maroquins, à leurs privilèges d'élus des deux camps. Thatcher, c'est Kipling au pays des poltrons Elle empoigne son monde sans vouloir plaire, sans vouloir séduire. Ce courage est, je crois, plus féminin que masculin, y compris dans ses aspects les plus déplaisants. Ce culot ne lui fait cependant pas négliger sa communication (la scène avec le phoniatre est ... éloquente).
Au final, on s'incline, on se flagelle, nous, Français, qu'elle exécute en une phrase géniale.
Baisers d'une pine'up qui a envie de se plonger immédiatement dans une bonne biographie de cette personnalité si physiquement ordinaire et pourtant si hors du commun. Ou de relire Kipling.
Ps: vieillir en perdant la tête comme Thatcher? Oui. Vieillir comme Renaud? Non.
Je ne m'interresse pas trop à Margareth Thatcher mais j'ai certainement tord ! Par contre Meryl Streep je ne suis pas étonnée de son professionnalisme comme tu dis , dans ce rôle.
J'adore !
Ne pas perdre la tête du tout ! C'est mieux
Car avoir été et ne plus être ,c'est triste et douloureux.
Rédigé par : Elibéran | 02 février 2012 à 02:05
Kipling au pays des nains. Ce n'est pas gentils pour les nains...
Rédigé par : Le Nain | 02 février 2012 à 05:24
A propos de bronze, très cool ton titre !...
Rédigé par : Dominique | 02 février 2012 à 08:43
@Eliberan :Avoir été et ne plus être est douloureux comme la vie entière est douloureuse. Vivre n'est pas drôle et ne l'a jamais été. Et voir une personne lutter, même en vain, pour conserver sa lucidité, cela a quelque chose de très digne. Les êtres humains qui ont tout à la base, une bonne intelligence, une bonne santé, et qui s'autodétruisent (drogue, alcool, etc) ont, eux, une dimension pathétique pour ne pas dire pitoyable. J'assume ce que je dis: j'espère que je serai une lutteuse à la Thatcher si j'accède au grand soir.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 02 février 2012 à 11:28
@Le Nain : pardonnez ma maladresse, mais sachez que je n'ai jamais pensé une seule seconde à faire un rapprochement avec votre sobriquet. Nain est synonyme ici de petitesse d'esprit, de couardise, comme vous l'avez sans doute finement compris. Allez, je change en couard. Et mille excuses
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 02 février 2012 à 11:31
C'était juste pour vous taquiner, je ne suis pas un vrai nain, même si je ne suis pas très grand (1,58 m).
Rédigé par : Le Nain | 02 février 2012 à 12:06
@Valèrie
Oui je pense aussi que la vie est particulièrement difficile à " vivre"et c'est selon notre état d'esprit , notre psychisme , notre quotidien .
Ne jetons pas la pierre à ceux qui la finissent dans la déchéance.Tous les êtres humains ne se ressemblent pas . La force de caractère n'est pas non plus innée pour tous.
Ton post me donne envie d'en connaître un peu plus à propos de cette Dame de Fer , Mme Thatcher.(Tu es forte!)
Rédigé par : Elibéran | 02 février 2012 à 12:55
@Eliberan: je reconnais qu'avec les années, je me suis durcie. Avant, je disais: "Le pauvre! ou la pauvre!" à chaque douleur que je croisais. A présent, oui, je fais le tri. J'ai vu des handicapés mener des vies magnifiques, des parents d'handicapés bouger et changer leur vision de l'existence avec un bon sens qu'il faut au moins deux vies pour acquérir. Et puis j'ai vu aussi des gens s'accrocher au malheur, par flemme, par faiblesse, par posture. Je ne dis plus : "Le pauvre" ou "la pauvre!" avec la même facilité. Et si je vais vers des personnes malheureuses, c'est toujours quand je sens qu'ils pourront s'en sortir. Ceux qui aiment gémir, je les lâche.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 02 février 2012 à 14:49
Bonjour Valérie et merci pour ton analyse, j'irai certainement voir ce film. Bonne journée! Catherine
Rédigé par : Catherine | 06 février 2012 à 08:51
Juste un truc, Catherine: c'est un film "grosse machine", avec les défauts du genre (lourdeur, amplitude parfois pompeuse), choix des angles pas assumé (trop ou pas assez de passages avec Thatcher vieillissante). Mais Meryl Streep fait un numéro d'actrice prodigieux, qui vaut plus qu'une course à l'oscar. En plus, elle met en valeur son partenaire de façon subtile et généreuse. C'est la force des grands: ne pas écraser les autres comédiens.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 06 février 2012 à 10:58
Je pense à ce qu'écrivait Bourdieu, on vante la parité lorsqu'une femme est promue, mais en réalité elle s'avérera plus réactionnaire encore qu'un homme, mais le thème de la parité permettra de valoriser cette nomination. Je crois que le film fait l'impasse sur son rôle destructeur de la société anglaise. En cela, ce film illustre Bourdieu.
Rédigé par : Triton95.wordpress.com | 06 février 2012 à 19:53
Le film est complètement en dehors de tout jugement: ni positif, ni négatif. C'est aussi une de ses forces. Il est indéniable de dire que Thatcher a marqué les Anglais. En bien comme en mal.On peut détester sa politique, mais on ne peut pas faire l'impasse sur ses talents de meneuse. Thatcher est, oui, une femme hors normes. Elle fait partie de ces personnalités politiques que seule la Grande-Bretagne sait produire. A la fois totalement insulaire, et totalement originale. Sans Thatcher, pas de Tony Blair.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 06 février 2012 à 20:03