C'était trop beau. A la hauteur de ce que j'imaginais enfant. Désorientée je suis. Désorientée surtout car à peine de retour à l'est j'ai perdu mon Nord: hier soir - j'étais encore à San Francisco - j'ai appris la mort de ma grand-mère. Cette série sur la Californie lui sera personnellement dédiée.
C'est elle qui m'a fait découvrir le cinéma hollywoodien. Elle, l'Austère à la gauche de la gauche, ne croyait qu'à l'illusion sophistiquée. Elle, qui m'a obligée à regarder tous les films de Gary Cooper et avait pour idéal féminin Greta Garbo. Aurait-elle aimé la Californie? A sa façon, très certainement. Elle y aurait trouvé son Mythe de la Caverne. 90 ans. Je savais en partant que je ne la reverrais plus.Elle n'était pas malade, épuisée, plutôt. Elle est partie tranquillement, tel un mince fêtu de paille qui n'avait plus la colère en elle pour se maintenir. Sa sérénité récemment trouvée signait son départ de la vie.
Mémoire des confiseries du Nord qu'elle préparait pour nous, de l'odeur du caramel chaud et des noix dans son appartement versaillais, de sa façon inquiète à guetter notre arrivée, vigie en évidence à la fenêtre de son deuxième étage. Appartement solitaire, mémoire de sa vie avant qu'elle n'aille finir ses jours à la maison de retraite de Kertrouduc.
Elle aimait le vélo, faute de savoir conduire. Elle aimait marcher. Elle détestait vivre seule, et pourtant elle a été veuve à 50 ans. Elle écrivait très bien et lisait finement. C'était une bête de mots croisés - bref, elle m'a transmis ses petits plaisirs ; le cinéma, la lecture, les mots croisés (Scipion, Favallelli et Laclos).
Elle était très nerveuse. Rarement heureuse, sauf ces derniers temps - elle savait qu'en atteignant la dernière décennie avant le siècle elle ne tiendrait plus très longtemps. Elle savait en me disant au revoir fin juillet que c'était notre ultime moment.
- Laissez-moi vous regarder encore, ma petite chérie...
Elle ne voyait pourtant plus grand-chose, mais elle continuait à vouvoyer ses petits-enfants. Ce n'était pas un snobisme de langage ni une posture. C'était, disait-elle, sa façon de respecter la jeunesse (elle a toujours tutoyé ses propres enfants).
Elle était drôle sans le vouloir - mimi riait peu. Son sens critique, terrifiant pour certains, me faisait plutôt rire. Elle était rêveuse, très sentimentale sous sa stricte écorce. C'est ce que j'ai le plus adoré chez elle : son romantisme sombre, sa fragile capacité à contrer ses dépressions constantes en s'émerveillant devant Les tuniques écarlates ou Camille. Je lui offrais souvent de vieilles photos de stars, celles qu'elle aimait le plus. Mais ce qu'elle a toujours gardé, le cadeau qu'elle a bizarrement préféré de ma part a été un bouquet de pivoines artificielles. Elle trouvait génial que ces fleurs soient immortelles.
Elle n'aimait pas la vie - sauf celle recréée par la Fox, Paramount, Warner ou MGM époque 30/40/50. Elle se trouvait affreuse alors qu'elle était si jolie. "Jolie ? Moi? Vous êtes trop gentille, ma petite chérie... Ce n'est pas vrai mais... Ah, je vous aime tant"
Elle détestait les bêtes - surtout les chiens -, et possédait une exigence esthétique aussi démesurée que subjective. Cet esthétique est sans doute ce qui nous opposait. Mimi ne jurait que par les allures de minceur tandis que ces critères me collent le bourdon. Elle était capable d'appeler ma soeur pour lui dire:
- Elle ne m'écoute pas... mais dites bien à Valé qu'elle DOIT MAIGRIR ! Vous, elle vous écoutera...
Dieu que ces injonctions m'ont exaspérée... Pour finir par m'attendrir. Un jour, je lui ai dit : "Mimi, tu vois trop la vie à travers une image de beauté qui m'angoisse". Elle a souri : "Sans doute. Pardonnez-moi."
Oublions les polémiques, les sujets qui fâchent. Recréons donc pour elle un cinéma de minuit.
Sur ton nuage au paradis, bien sur il y a grand-père Alain, ton unique amour.Le seul qui fut capable de te faire rire. Mais, sans doute pour t'éprouver un peu, je t'adjoins en nuages voisins John Wayne Clark Gable
Jimmy Stewart Jean Gabin
et l'insurpassable Cooper
Tu seras bien gardée
Adieu, chère Mimi adorée, que Dieu continue à te faire rêver.
Il reste la magie, n'est-ce pas?
Et à Hollywood, la magie ne meurt jamais
Oh! Valèrie , souvent la réalité de la vie refait surface sans que l'on s'y attende.Ton rêve Américain n'est qu'interrompu .Tu le reprendras très vite en pensant à ta grand-mère qui a dû être heureuse de t' avoir revue , cet été.bon courage .
Rédigé par : Eliberan | 22 août 2011 à 08:48
Bel hommage en forme de câlin ultime. Que de moments précieux avec nos grands-mères...
Rédigé par : Armelle | 22 août 2011 à 09:07
Oh oui, Armelle, de précieux moments (by the way es-tu à bb auj ?)
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 22 août 2011 à 09:23
Merci, chère Elib. Mimi a eu la délicatesse toute nordiste d'attendre la fin de mon american dream pour partir. Demain les funérailles, demain l'adieu. Mais je retranscrirai fidèlement sur le blog l'éblouissement californien. Ne serait-ce que pour ELLE
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 22 août 2011 à 09:26
Quand les gens que nous aimons nous quittent , il nous reste heureusement les souvenirs . Souvenirs tendres et émouvants qui par moment nous aident à vivre . Je pense qu'il vous reste ces souvenirs malgré la tristesse de son départ . Avec vous en ce moment triste et douloureux .
Rédigé par : andré joucla | 22 août 2011 à 09:29
Merci André. Aussi étrange que cela puisse être, je suis très émue, mais pas triste. Mimi en avait clairement assez et souhaitait s'en aller. Elle est morte très, très bien. Elle serait partie cet hiver, au plus fort de sa panique et de sa dépression, j'aurais été effondrée. mais là, elle est morte en aimant enfin l'existence. je suis heureuse.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 22 août 2011 à 09:34
Je repense à la mort de ma belle-mère - ma mère de substitution - dans la sérénité, attendant que nous soyons partis en vacances pour aller rejoindre les nuages qu'elle contemplait de sa fenêtre ; certaines personnes ont le pouvoir de mourir avec élégance. Tu as raison, de telles fins ne sont pas tristes mais émouvantes.
Maintenant, nous attendons tes Anachroniques de San Francisco !
Rédigé par : PS & LL | 22 août 2011 à 09:52
Yes ! C'était génial. j'ai adoré Los Angeles, presque plus que San Francisco! A venir... a chaque fois que j'arrive au USA, j'ai l'impression de VIVRE TOTALEMENT. c'est aussi pour cela que je veux dédicacer ces notes à ma grand-mère, car quand je partais teen ager dans les familles américaines, je lui envoyais des lettres fleuve qu'elle aimait bcp. Elle disait: "vous avez en vous une lumière américaine" et je crois qu'elle ne se trompait pas. PS : mimi, archi à gauche, avait une passion pr les USA. elle n'était pas à un paradoxe près...
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 22 août 2011 à 10:07
Très touchant et émouvant! Je n'ai malheureusement pas connu mes grands parents, je t'envie...
Rédigé par : Ditch | 22 août 2011 à 12:47
En lisant ce petit mot sur ta grand-mère il y avait un parfum de "La dernière séance" très touchant.
Comme tous et toutes j'attends maintenant de voyager en découvrant, par la lecture, tes périgrinations californiennes.
Rédigé par : Gérardu27 | 22 août 2011 à 13:40
La dernière séance, oui, c'est ça. Avec Mimi j'ai vécu de très belles dernières séances
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 22 août 2011 à 15:47
J'ai vu ma grand-mère un mois avant sa mort à 90 ans aussi. Depuis longtemps, elle m'avait dit avec son accent à la Arletty qu'elle souhait que la mort l'emporte, et elle me l'a répété ce jour là, après que des chirurgiens acharnés ont essayé de lui mettre une tête de fémur de remplacement dans son fémur tellement fragilisé par l'ostéoporose qu'il tombait à chaque fois en miette.
Après avoir souffert le martyre, elle est morte paisiblement dans son sommeil, dans son fauteuil pendant une sieste où les cigales chantaient au soleil de Provence. Je n'ai pas été triste, je savais qu'elle avait trouvé la paix.
Rédigé par : Le Nain | 22 août 2011 à 17:41
C'est ce qui est arrivé à la mienne. Elle a trouvé la paix. Cela m'a beaucoup rassurée.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 22 août 2011 à 17:56
L'adieu aux larmes ?
"Les vieux ne meurent pas
Ils s'endorment un jour
Et dorment trop longtemps ..."
Les USA sont aussi paradoxaux que ta Mimi, la patrie du capitalisme et du sport business est pourtant très "égalitaire" en matière de sport.
Je suis à la bourre, mais je reviendrais demain t'expliquer le salary-cap et la draft ...
Bon retour malgré les circonstances et meilleures pensées à toi.
Rédigé par : Dominique | 22 août 2011 à 23:27
(réponse tardive) oui, bébé est bien avec nous. Il a 5 mois et promet d'être tonique ;)
Rédigé par : Armelle | 26 août 2011 à 21:53
Oops! me suis trompé d'Armelle! pouponne bien!
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 août 2011 à 09:40
C'est très joli, ce portrait de ta grand-mère, et très bien écrit.
Bises
Rédigé par : Catherine | 30 août 2011 à 08:17
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Rédigé par : Cruz | 18 décembre 2013 à 19:31