Il existe des écrivains qui vivent dans des maisons extraordinaires. TC Boyle fait partie de ces heureux mortels : il habite une construction de Franck Lloyd Wright. D'où le sujet de son nouveau roman : Wright et ses femmes. Il y a eu des tas de livres sur cet architecte majeur mais celui-ci ("Les femmes", éd Grasset) et sans doute le plus intéressant. Le narrateur est un étudiant japonais du phalanstère créé par le maître dans un coin paumé du Wisconsin, "Taliesin",
utopie naturaliste qui brûla par deux fois : la première, en 14 dans un incendie criminel qui tua 7 personnes dont sa femme, le deuxième, trente ans plus tard. Wright reconstruisit son paradis à chaque fois, en faisant trimer les nombreux stagiaires qui l'entouraient et le vénéraient.
"Les femmes" est un pavé symphonique, un chant choral qui n'élude pas la personnalité tyrannique de l'architecte. Très bien écrit et remarquablement traduit, il laisse la part belle aux épouses du génie.
La chronologie est aléatoire et cette construction en puzzle n'en est que plus savoureuse.
On commence par la dernière épouse, la Serbe Ogilvanna.
La seule a avoir une belle différence d'âge avec Wright. Puis apparait la troisième, Myriam-la folle, celle qui faillit bien avoir la peau de Franck Lloyd, psychologiquement s'entend. les chapitres Myriam
sont parfois trop longs mais donnent le vertige, celui de la maniaco-dépression, voire de la schizophrénie.
enfin, on clôt le roman avec la première épouse, Kitty,
abandonnée après 20 ans de mariage pour l'indépendante Mamah,
sans doute le plus grand amour de Wright, qui périt dans les flammes de Taliesin. Le charme et l'égoïsme de Wright sont palpables à chaque pages, sans dessécher le propos.
C'est un livre parfois hilarant. Les interventions et les notes en bas de page de l'étudiant japonais sont merveilleuses. On regrette parfois que ses chapitres ne soient pas plus importants tant la narration se fait affutée, ironique et tendre.
L'hommage à Wright (1867-1959) est total. Sa filouterie est à l'égal de son imagination : hors norme.
Chez un homme qui semble charmeur et sensuel, ce qui frappe, c'est l'aridité physique de ses épouses (exception faite de Mamah). Elles apparaissent au fil des pages comme des créatures brûlées, fusillées, dépersonnalisées, vampirisées au profit de leur petit mari (Wright était minuscule). Wright s'est reposé sur elles, exacerbant le talent de chacune comme un foreur de pétrole, puis le tarissant lentement. A ces femmes anéanties, justice est rendue. Elles ont aimé cet homme : pour leur malheur ? On ne sait pas.
Livre prodigieux, comme les Américains savent le faire : énorme, bien construit, mêlant nature et sentiments dans une vision d'un pays qui a le meilleur et le pire portés à l'excès, véritable terreau créatif.
A défaut d'une maison Wright,
je crois que la pine'up va s'offrir des Lego...
De cet hommage, j'ai surtout retenu le filou. La légende est sacrément écorniflée au fil des pages et des épisodes peu flatteurs aux yeux des admirateurs inconditionnels de son oeuvre. Rudement bien mené, commencer par la fin nous tient en haleine jusqu'à l'arrivée de Mamah que l'on sent, tout au long du livre, qu'elle est le point d'orgue du grand (petit) homme... Une Mamah bobo avant l'heure, ce qui a pour résultat d'exciter la bile de son assassin... Les chapitres japonais sont charmants et le narrateur, au destin finalement tragique, me plait beaucoup.
Je viens, quand tu veux, te tenir les briques !
Rédigé par : Cath | 04 mai 2010 à 10:10
j'ai adoré le Jap. pour le little big man, je savais tellement qu'il était filou que je n'ai pas trop retenu ses escroqueries. dans les femmes : suis sensible au désarroi d'Ogilvanna et Kitty. Miriam est atroce, et mamah... et bien mamah me semble assez désincarnée. A force d'être intello, peut-être. Pas "sympathique" : parfaite pour lui, sans aucun doute
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 04 mai 2010 à 12:57