C'est congestionnée d'émotion que j'entame cette note.
Mon - je l'espère - futur producteur m'a envoyé LE film le plus beau du monde, celui que je recherchais depuis des années sans arriver à le trouver. Nous en parlions l'autre jour, attablés à notre déjeuner : je lui racontais à quel point le cinéma de Leo Mc Carey m'avait marquée, avec une nette préférence pour ce film hors norme, essentiel, extraordinaire.
Très gentiment il me l'a fait parvenir ; j'en suis fort touchée.
Ce soir, j'ai été chef zapette, et Ingalls a partagé mon admiration. Il ne s'est pas moqué de moi quand, au dernier tiers du film, je commençais déjà à pleurer (mais contrairement à lui, je connaissais la fin).
Make Way for Tomorrow (en français : "Place aux jeunes"), tourné en 1936, fut le seul "bide" de Mc Carey. L'histoire débute ainsi : Barkley et Lucy Cooper, un vieux couple, réunissent leurs enfants pour leur annoncer que leur banquier les expulse de chez eux. A contre-cœur le fils aîné décide d'héberger sa mère tandis qu'une des sœurs s'occupera du père. La suite...
Je laisse la parole à Jacques Lourcelles,
le plus fin critique de cinéma français qui, dans une autre vie, fut mon mentor cinématographique lorsque je travaillais à son insurpassable "dictionnaire du cinéma" (ed "bouquins") :
"Make Way For Tomorrow est un mélange unique et détonant d'émotion, d'amertume, de cruauté et de colère rentrée. C'est peu dire que 'Make Way..." est dépourvu de happy end. Son dénouement - la séparation définitive des vieux époux - est plus bouleversante, plus insupportable qu'une fin franchement tragique qui montrerait par exemple la mort de l'un des conjoints. Ceci aurait eu un aspect naturel, plus acceptable pour le public. Cette séparation est anti-naturelle au possible et oblige le spectateur à réfléchir sur un type de société qui permet qu'un vieux couple de parents ayant élevé cinq enfants aux situations somme toute confortables en soit réduit à cette extrémité, et le soit avec douceur et hypocrisie. Mc Carey veut nous amener à poser sur la société un regard non seulement social mais moral, et la morale passe toujours chez lui par ce climat d'émotion et de communication étonnant qu'il sait susciter entre ses personnages et le spectateur. (...) La séparation des époux, cette mort plus cruelle que la mort, est le vrai sujet du film et découle, comme une conséquence terrifiante, du gouffre dont on dit qu'il sépare les générations.
La fluidité, la densité et la simplicité géniales du récit, où la virtuosité est comme annulée par sa perfection même, transforme le film en un discours à deux voix (celles des vieillards) qui pénètre le cœur du spectateur sans même passer par son esprit. Chaque scène est tissée d'une suite de minuscules détails à l'efficacité prodigieuse, qui reflètent et accélèrent le caractère inéluctable du destin des deux personnages. (...)
Il n'y a pas deux films pareils à celui-là (...) et c'est ce film que nous serions tentés de recommander au spectateur comme preuve ultime de la supériorité du récit cinématographique sur toutes les autres formes dramatiques de récits. Au moins dans deux domaines : la rapidité à entrer dans le vif du sujet, l'intensité émotionnelle."
Citer Jacques Lourcelles m'oblige à dévoiler la fin du film mais cela ne nuit absolument pas à sa vision : croyez moi, "Make Way"'est un sommet d'expressivité.
Cela fait 20 ans que je n'ai pas revu M. Lourcelles. Où qu'il soit, merci. Merci d'avoir nourri ma cinéphilie, d'avoir deviné mes goûts et de les avoir exacerbés ; j'étais une "mac mahonnienne" qui s'ignorait. Son livre reste ma référence, le livre que j'ai le plus lu et relu : ses analyses me réjouissent. J'en connais les moindres recoins.
A venir, un spécial Mc Carey, cet homme que j'aurais tant aimé rencontrer.
PS : lors de la sortie du dictionnaire de Jacques Lourcelles (1991) il y eut omerta sur le livre ; Télérama l'ignora ostensiblement (Lourcelles nageant à contre courant des idées reçues : il déteste la nouvelle vague, les films d'Antonioni, ceux de Pasolini sans oublier Rohmer et Resnais). J'ai quant à moi trouvé dans son ouvrage tout ce que j'aimais. J'ai adhéré à ses goûts et dégoûts instinctivement.
Ironie du sort, ce dico est devenu la bible de téléobs, et Télérama, amnésique, s'est fendu d'un éloge à Lourcelles il n'y pas si longtemps - éloge qui m'a fait sourire : il arrivait trop tard.
J'ai honte de l'avouer : je n'ai jamais entendu parler de ce film. Par contre, j'ai conservé le souvenir d'un film bien moins ancien, puisque datant de 1959, Le Dernier Rivage (On the Beach), réalisé par Stanley Kramer, dont l'histoire se déroule en Australie durant la troisième guerre mondiale, guerre nucléaire bien sûr, avec Gregory Peck et Ava Gardner. Je suis encore émue en me remémorant la fin, un bruit de canette de coca-cola tapant sur un tuyau comme un appel au secours et l'image d'une banderole flottant au vent portant l'inscription : There is still time… brother !
Rédigé par : Pépites & Lambeaux | 18 avril 2010 à 16:35
Hier soir, en le revisionnant (cela faisait bien 20 ans que je ne l'avais vu) j'ai encore chialé comme une perdue !
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 18 avril 2010 à 17:16