Une triste polémique a secoué le petit Landerneau français des réseaux sociaux au sujet de l'âge de la beauté et du désir. Sans citer l'initiateur de ces émois, sans citer l'inanité des ripostes qui lui furent opposées et sans aller sur les terrains classiques de la fraicheur ou du chiffre d'or mon constat est le suivant: un seul génie a répondu à ce mystère humain, à l'ère élisabéthaine. Etre ou ne pas être. Point.
Notre époque de performance et de jeunisme aboutit à des tours de force, des hystéries aussi bien masculines que féminines, des visages tailladés, des corps affutés jusqu'à ne plus permettre la chair, des grâces chirurgicales, des ascétismes consuméristes, des autoportraits déversés par milliards sur les réseaux sociaux, vertiges démultipliés de nos angoisses, du lisse en pagaille, du filtre obscène, des sourires qui crient la dépression, des regards qui ne veulent plus rien dire.
Je suis une esthète. Implacable. Et c'est pour cette raison que je divise l'humanité en deux, peu importe l'harmonie des visages ou des corps : il y a les êtres qui sont habités et ceux qui ne le sont pas. Aux premiers les marques de l'intensité, aux seconds l'impardonnable fadeur. Aux uns l'expressivité, dominée ou éparse, aux autres le mode interrogatif sur le temps qui passe. Je suis peut-être encore plus injuste que le chroniqueur incriminé, car être habité est question de nature, pas d'acquis : aucun scalpel ne vous l'apportera, aucun régime ne vous l'offrira, aucune lotion capillaire ne vous en parera. Vous avez cette vie en vous ou non. Cette vie a disparu des magazines depuis une bonne dizaine d'années au profit de visages architecturés, d'angles et de méplats, d'algorithmes de la courbe fusionnant en harmonie mondiale mortifère. Tout y est devenu santé, contrôle, tout baigne dans l'albâtre des peaux qui ne connaissent plus le soleil. A cette robotique de l'ennui répond le nerf de la nature humaine avec ses regards passant de la joie au désespoir, la peau qui se rosit sous l'effet de la fatigue, le rire de l'abandon comme celui de la farce, les mains venant au secours des mots qui manquent, le dos qui ploie sous la charge, la grâce des généreux, le courage et ses pépites de fierté qui sertissent les seules oeillades possibles. A cette robotique de l'ennui répondent aussi, et avec un succès croissant, les dépossédés de la vie : en mode Houellebecq ils chantent leur unique registre, celui de la débauche ordinaire; ils ne sont pas et il le savent. Perdus pour perdus ils se réunissent en chorale parfois talentueuse du commun, du sale, du gris ; du criminel, aussi. Ils n'auront jamais la chance d'être, refusent celle de paraitre, et nous entrainent dans la farandole littéraire des voyages au pays des nombrils mal formés. Ils s'acoquinent sans être dupes aux séducteurs lisses sur papier glacé : ils y repèrent leur propre mal de vivre - ils sont de la même famille.
To be or not to be. Shakespeare avait raison : that is the question.
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