Le pouvoir fait faire bien des bêtises. Mais ces bêtises ne sont rien à coté de l'abjection qui consiste à l'utiliser pour forcer des êtres humains à se soumettre physiquement.
J'ai observé avec attention le rythme des réseaux sociaux lors de l'éclatement de ce qu'on nomme l'affaire Weinstein. Que cette affaire prenne un tour planétaire n'est pas étonnant, elle présente tous les éléments pour frapper imaginaires et consciences : argent, violence, beauté et pouvoir.
Premier temps du rythme facebookien : quel homme épouvantable. Deuxième temps : les actrices qui s'expriment sont belles et riches, des voix jalouses se mettent à les traiter de tous les noms. Surgit le "on savait" doublé de "mais qu'allaient-elle faire dans ces hôtels,", oubliant au passage que les rendez-vous à l'hôtel se faisaient en présence d'assistants assurant du bien fondé de ces rendez-vous avec un homme constamment dans des avions, assistants qui disparaissaient comme par miracle une fois la proie dans le bureau de la suite. Troisième temps : fureur féminine légitime et afflux de témoignages de tous les milieux sociaux. Quatrième temps : un autre scandale vient parasiter l'affaire, celui de la une de Cantat dans les Inrocks. La colère s'amplifie. Cinquième temps : apparition du hashtag Balance ton porc. Et la toile de s'embraser en criant pour certain(e)s à l'horreur de la délation.
Alors, balance ton porc? Balance ton porc n'est pas le sujet : le sujet est non pas de balancer, mais en effet de témoigner de ces souffrances trop souvent entachées de sourde culpabilité. Il n'est pas supportable qu'une femme, de quelque milieu social soit-elle - et j'insiste sur ce point, suite à une émission hier soir qui suggérait que les femmes aisées pouvaient mieux se défendre que les autres - doive plier devant le pouvoir sous peine de voir sa carrière ralentie ou stoppée. Il n'est pas supportable qu'on se moque des victimes. Il n'est pas supportable que le harcèlement reste impuni.
Alors oui, j'encourage toutes les femmes non pas à balancer, mais à témoigner, comme elles le font, à la fois parce que cette parole est nécessaire pour se libérer d'un traumatisme, mais aussi pour faire avancer le temps de la dignité. Que sonne la fin, n'en déplaise à certains, des univers audiaresques et des bizuths de corps de garde. C'est bon, la coupe est pleine. Et non, ce n'est pas le retour du puritanisme mais bien une avancée dans les rapports humains que je souhaite. Le puritanisme, c'est au contraire la pulsion obsédante, l'image de la femme dégradée, la virilité rendue stupide, la frustration en évidence.
Pour autant le monde n'est pas peuplé de porcs et de tarés malheureux, prisonniers de leurs misérables secrets d'adultes, pour autant chacun a le droit que faire ce qu'il lui plait de sa vie sexuelle une fois adulte, moyennant le maitre mot : consentement.
Mais pour les abus de pouvoir et le chantage sexuel : j'espère que les sanctions seront de plus en plus lourdes à l'encontre des "porcs". Il est intolérable, dans l'entre-soi du pouvoir, de protéger un prédateur.
Légiférer sera sans doute difficile, j'espère qu'on ne sombrera pas dans la tentation de l'excès, qu'on saura faire la différence entre compliment et prédation, mais c'est à ce prix que s'atténuera peut-être l'abjection d'une certaine appréciation de la femme ; la laideur d'une détestation de la femme; la tristesse d'une terreur du féminin.
L'affaire Weinstein, ça n'est pas rien : c'est très grave. Je salue les hommes qui encouragent les femmes à parler sur les réseaux sociaux. J'ai beaucoup apprécié la sensibilité et l'empathie de certains devant ce qui est une humiliation violente faite à un corps. J'ai aussi été navrée par la misogynie étalée ici ou là, misogynie hélas pas réservée aux messieurs et qui traduit sans doute, tous sexes confondus, des monceaux de complexes physiques, d'ambitions ratées, de dominateurs-séducteurs/trices à la petite semaine et de souffrance de solitude.
Les pseudo libertaires peuvent bien ricaner, j'ai l'impression, peut-être trop optimiste, mais sait-on jamais, qu'un drame américain va pouvoir aider à changer les choses.
Merci aux femmes qui témoignent. Témoigner, ce n'est pas "avouer" - on avoue un crime, pas d'avoir été maltraitée -, témoigner, ça n'est pas balancer : c'est vouloir, en outrepassant son statut ponctuel de victime, que la société avance.
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.
Paul Éluard
Rédigé par : Le Nain | 23 octobre 2017 à 08:48