Cette été, je discutais avec une jeune fille, la fille de mon meilleur couple d'amis. Nous parlions cinéma, sujet captivant pour nous-deux, pour elle encore plus - elle est comédienne.
- Quelles sont tes actrices préférées ?, m'a-t-elle demandé.
J'ai été incapable de répondre. Le silence s'éternisait... Dans mon esprit tournoyaient les fantômes d'Ava Gardner, Marilyn, Stanwyck, Swanson, Lombard, Goddard, Deborah Kerr, Davies, Havilland, Fontaine, Novak, Tierney, Lupino, Dietrich, Hayworth, Ingrid Bergman, Darnell, Sullavan, Neal, Julie Andrews, Loren, Hepburn, Darrieux, Schneider...
Oui, mais les récentes ? Les actuelles ? les Françaises ?
Je n'en trouvais pas. J'y ai pensé tout l'été. Suis-je donc si nostalgique ? Nostalgique d'un âge d'or momifié aux alentours des années 50 à Hollywood ? Je ne crois pas.
La vérité est aussi triste que la nostalgie : aucun scénariste ne propose de très beaux rôles féminins. Et c'est pire en France qu'ailleurs. Si je m'appelais Karine Viard ou Audrey Tautou ou encore Marina Fois, ou Cécile de France, j'aurais envie de déchirer page par page les innombrables rôles de mégère contemporaine grande gueule au vocabulaire aussi pauvre et criard que la tendresse personnelle est infime, ces rôles de serpillères amoureuses détraquées, ces histoires de femmes violentes, sèches, exsangues et égoïstes.
Les hommes sont mieux servis par le sexisme ambiant : aux Magimel et aux Renier, pour ne citer qu'eux, les habits de la sensibilité virile, les losanges de la complexité et du charme, le rythme de la grâce. Aux femmes la bouffonnerie, la méchanceté, la grisaille du monde moderne; la transparence; l'absence de douceur et, bien plus grave, l'absence de mystère.
C'est la fin des Comtesses aux pieds nus. Des Vienna de Johnny Guitar. C'est la fin de cette merveille d'équilibre entre l'homme et la femme dont Elle et Lui fut le sommet : de Grant ou Kerr, impossible de choisir qui avait le plus beau rôle, les deux étaient ciselés dans un assaut de politesse et de sensibilité qui allaient démolir l'arrogance des buildings de NY. La fin des The Shop around the Corner : Stewart ou Sullavan? Mon coeur balancera toujours.
Comment avons-nous tout gagné, sauf le droit à nous représenter. Je refuse d'être caricaturée en pouffiasse désagréable et arrogante. Je refuse d'être limitée à terminer toutes mes phrases par Bordel-fais-chier-han-mais-hein-j'déconne-'tain-ouais-ça-c'est-mortel-diiiiingue. Je refuse de passer de Sex and the City à Lena Dunham, laquelle n'arrive pas au talon de son ainée Stanwyck. Je refuse de sacrifier mon indépendance pour autant de pauvreté humaine. Je refuse qu'une femme m'appelle "mon cohhheurrr" en ajourant un h là où il n'y en a pas et en faisant trainer les dernières syllabes, comme si elle n'avait plus de respiration. Je refuse le "hey, les filles", signe d'une camaraderie prête à toutes les trahisons. Je déteste le mot "camaraderie"; j'aime le mot "amitié".
Je refuse en bloc ces schémas ridicules d'autant que je connais un paquebot de femmes fines, lucides, riches de vocabulaire et riches d'expressivité. Et passionnantes. Heureuses ou pas dans leurs responsabilités ou dans leur vie affective, peu importe, mais faites de la belle étoffe des sentimentales. Faites de secrets qu'elles dévoilent ou non. Sans avoir besoin de 40 vodkas pour se livrer.
J'en parlais avec une scénariste hier soir. Elle s'est mise à rire. Elle m'a dit que j'avais raison.
Raison de plus pour me replonger dans l'écriture... Et de livrer UN VRAI PORTRAIT DE FEMME. De celles qui savent être légères sans être poissardes, de celles qui savent rire sans hennir, de celles qui savent pleurer sans couiner, de celles qui savent se cacher dans l'humour sans être grossières. Et qui, fortes de tout cela, arrivent à ne pas être à mourir de prévisibilité. Comme certains hommes.