Au XIXe, le bourgeois catholique avait ses pauvres. Au XXIe, son équivalent athée a les siens : dans les deux cas, ils sont choisis, triés sur le volet. La componction actuelle, véhiculée par ce qu'on peut appeler "la gauche dure" à défaut d'extrême a choisi, à défaut de lucidité, de s'engager dans une forme de partialité esthétique. Terminés, le grand soir et les convictions vrillées au corps. Messieurs Plenel, Boniface et leurs amis ont été obligés de constater à la lueur de Dickens que même chez les pauvres, il y a des enfoirés. Des gens pas bien. Des indéfendables. Des blaireaux bornés. Ils ont du être très ennuyés dans un premier temps par cette dure réalité de la nature humaine : la dignité et la gentillesse se trouvent partout, la mesquinerie, l'envie et la bêtise aussi. Et même, injustice ultime, il y a des salauds de riches qui sont généreux, altruistes, incroyablement sympathiques... Eurêka, le Front National est arrivé, à la grande joie de l'intellectuel gêné aux entournures : les moches blêmes, on les donne à Marine, et les beaux orientaux, on les garde. Même s'ils tuent et qu'ils asservissent leurs femmes (dont on a bien profité dans les années 80, le tropisme beurette a fonctionné à plein rendement à Nanterre et il était autrement plus excitant que le tropisme Alison ou Tiffany Dupont, encore que, on peut s'égarer dans des schémas contrastés lorsqu'on est jeune et cultivé...). La lutte des classes a alors pris un tournant décisif : vive la finesse de traits d'un Tariq Ramadan, celle d'une jeunesse parisienne désoeuvrée-mais-regardable, et cachez-moi tous les vilains caucasiens dans leurs HLM avec la Le Pen pour les abrutir.
Si on m'avait dit, à 15 ans, que la gauche journalistique méprisait les pauvres, encore plus que la droite... Qu'elle préférait les regarder depuis la place du Panthéon que vivre avec... Qu'ayant du mal à les poétiser façon Aragon, elle allait oser les rendre "exotiques" à défaut d'intégrables... Et qu'elle allait même les rendre dingues... Qu'elle allait finir, bien plus que Houellebecq/Onfray/Finkie et les fameux nouveaux réacs par adhérer plus ou moins consciemment à la façon de penser du narrateur de Soumission... tout ça sous-tendu par une féroce misogynie et quelques intimes problèmes techniques masculins...
Pourtant, c'est très exactement ce qui se passe. Les journalistes distribuent des bonnes notes pseudo éthiques entre deux intrigues parisianistes (un journaliste connu est un journaliste qui a intrigué mille fois plus qu'un politique, de signatures en salons, de cafés littéraires en think tanks, d'émissions radio en - graal - passage télé, et à présent, il prêche sur twitter et FB, bloque les polémistes pour sourire avec bonheur à son petit entre-soi durement constitué). Avant de dire : "Tous pourris" en parlant des politiques, ayez bien en tête que votre journaliste préféré a un régime fiscal privilégié, et que lorsqu'il est invité à un événement, il y va dans un hôtel 5 étoiles ou dans un coquet B&B, ça relativise toujours un peu sa parole. Je ne l'invente pas, c'est un pote journaliste qui me l'a confié en précisant que s'il dévoile dans les médias les privilèges de sa profession, il signe son arrêt de mort. Je garde donc son anonymat et je demande aux émissions d'investigation un spécial "la face cachée du journalisme". Il est possible que ça reste un voeu pieux, un malheureux - Clément Weil Reynal - a été brisé par ses pairs pour pour avoir dénoncé le corporatisme de la magistrature et son mur des cons. Il est bien un des seuls à avoir mon respect.
Tout ça pour en arriver où ? A se méfier de tout groupe "révolutionnaire", toute manif savamment orchestrée et abondamment relayée dans les médias, à se demander d'où vient le blé pour organiser des nuits debout pour jeunes manipulables - ça ne s'improvise pas, des mouvements "citoyens", ça exige un financement -, et à se dire que la jalousie mène à tout : même à l'absurde, et surtout au cynisme le plus dégradant.
Pendant ce temps, heureusement, il y a des gens qui bossent dur. Et qui croient en la réussite, l'amour, et leur prochain. Quel que soit le milieu.
Il est curieux de constater que nous vivons désormais dans un système de caste dont il est difficile de sortir. Il n'y a pas si longtemps, un fils de tonnelier devenait maréchal de France par ses mérites et sa volonté de s'instruire, mais il paraît extrêmement difficile de le faire maintenant parce que l'école ne joue plus son rôle. Ceux dont les parents ont le bagage intellectuel ou les moyens pourront pousser leurs enfants plus loin que ceux qui ne "savent" pas.
Nous avons déjà connu ça dans le passé, il y a très longtemps, et cela a très mal fini.
Rédigé par : Le Nain | 17 avril 2016 à 04:26
Oui, le pays s'est asséché, il est arrivé au bout de son plan en deux parties. Il étiquète avec méchanceté les individus et les colle dans des cases irrespirables. C'est pour ça que je me suis jetée dans le design, la décoration : c'est une façon de faire exploser les codes, de montrer que faire son nid, d'y mettre ce quon aime, est un vecteur de liberté.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 17 avril 2016 à 11:31