Sur l'Indicible, L'Impardonnable, l'Insanctionnable, on croyait que tout avait été exprimé. Mais non. L'holocauste délivre une nouvelle face d'épouvante dans le film de Laszlo Nemes, Le Fils de Saul.
J'en sors à l'instant. Etat de choc, aussi cette note sera-t-elle à l'image de ma confusion. A l'ami qui m'a accompagnée: je suis désolée de mon aspect somnambulique au dîner qui suivit, mais il m'était impossible de nouer une conversation ancrée dans le réel. Le film tourne en boucle dans le crâne.
Nous sommes chez les morts vivants, aux portes de l'enfer, dans une survie qui est pire que la mort et qui ne mérite pas le nom de "survie". Nous sommes aux pays des hommes broyés vif; les hommes chosifiés, pas même esclaves, ne devant leur salut qu'au fratricide obligatoire; ceux qui donnent envie, plus que tous les autres, de damner les nazis : les Sonderkommandos.
Nous sommes collés à Saul, le Juif hongrois qui nettoie les chambres à gaz. Nous sommes à hauteur de sa nuque, à hauteur de son regard et de son urgence de sépulture, nous sommes collés à l'indescriptible chaos qui l'entoure, aux gémissements, aux insultes et aux cris qui transforment le temps du quotidien en horreur intemporelle. Pas de place pour la lenteur, pas de place pour les larmes, pas de place pour l'attendrissement. C'est le règne de la vitesse d'exécution, du sadisme, de la brutalité. La survie ne tient qu'à un mot : impassibilité.
L'empathie devient une notion indécente. Elle s'étrangle dans la gorge. Là, dans la salle de cinéma, tout juste pouvons-nous entrapercevoir le prix non pas de la vie, mais celui de la mort. Plonger dans Le Fils de Saul, c'est oublier la salle et sentir la puanteur de l'angoisse. Ca pue l'effroyable tyrannie montrée sous son jour le plus sec, le plus brut, le plus... j'ai du mal à dire "vrai". Pas de mise en scène esthétisante du Mal. Pas d'émotion bienveillante. Impossible. Ici, ce sont les vivants prisonniers qui font serrer le coeur. Les morts, on est soulagés de les contempler. Ils ne souffriront plus.
Le sourire final annonce la délivrance du trépas. Ce sourire, le seul du film, est, avec l'obsession du Kaddish qui rythme la quête du héros, une lueur d'espérance. De celle que personne ne peut atteindre, dans notre pauvre cerveau humain. L'espérance qui surgit alors qu'il n'y a plus rien. L'espérance que la survie n'offre jamais, mais que la vie ou la mort proposent.
Et c'est ainsi, heureusement, grâce à Laszlo Nemes, que la lourde formule de "devoir de mémoire" perdure. Pour nous permettre, horrifiés, de répéter la plus banale et la plus vivante des réponses : plus jamais ça.
Réponse de Le Nain :
Plus jamais ça ? Ce n'est qu'un voeu pieux, cela s'est déjà reproduit, bien sur pas de la même façon technocratique et organisée des nazis, mais toujours en fonction de la race où de la classe au sens marxiste des personnes assassinées. Du Goulag à la révolution culturelle, de Pol Pot au Ruanda, ou plus actuel de la Corée du Nord à Daesh, le massacre n'a jamais cessé, et il ne cessera jamais tant que l'ignorance l'emportera.
Homo homini lupus est. C'était déjà vrai dans l'Antiquité, cela l'est toujours aujourd'hui. Et nous nous prétendons civilisés...
Votre lucidité vous honore. Mais ce "plus jamais ça", puéril et inutile en effet, reste le rempart d'effroi face au crime humain. Le fils de Saul fait partie de ces films indispensables - même si je n'aime pas cette notion pompeuse de "film indispensable" - car il brise les ignorances, et il les brise de façon inédite: en verrouillant toute possibilité de recueillement. Il nous montre, sans jamais démontrer, à quel point la survie est une aliénation, au milieu des enfers humains. Mais il rend aussi à cette aliénation son infime capacité de dignité dans l'agonie.
Plus jamais ça ? Ce n'est qu'un voeu pieux, cela s'est déjà reproduit, bien sur pas de la même façon technocratique et organisée des nazis, mais toujours en fonction de la race où de la classe au sens marxiste des personnes assassinées. Du Goulag à la révolution culturelle, de Pol Pot au Ruanda, ou plus actuel de la Corée du Nord à Daesh, le massacre n'a jamais cessé, et il ne cessera jamais tant que l'ignorance l'emportera.
Homo homini lupus est. C'était déjà vrai dans l'Antiquité, cela l'est toujours aujourd'hui. Et nous nous prétendons civilisés...
Rédigé par : Le Nain | 07 novembre 2015 à 06:45
je me suis permis de vous répondre dans le corps du texte. vous avez tellement raison de souligner l'inanité du "plus jamais ça". et pourtant... Le film provoque ce cri sans jamais être complaisant dans l'abrutissement de l'homme par l'homme.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 07 novembre 2015 à 10:04
Je sors de voir ce film, hier soir. Un acteur énorme, des prises de vues ne permettant aucun recul, on ne peut PAS s'échapper. On est obligé de subir, à pleine face, l'horreur. L'obsession de Saul pour son fils (?) est un moyen de rester humain. Plusieurs fois j'ai souhaité que le film s'arrête , brutalement, pour m'épargner ce calvaire. Car tout était dit, mais finalement ce film narre l'indicible.
Rédigé par : shimrod | 07 novembre 2015 à 13:11
à film à part, acteurs phénoménaux. Mais c'est le destin d'un film pareil: ne retenir que le nom du réalisateur, tant la force de placage au sol du film vient malgré tout du créateur
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 07 novembre 2015 à 16:52