Etat post tristesse. C'est étrange, cette vision de Paris en ce moment. Le temps s'est dégradé, mais les terrasses sont pleines. Avec des amies, nous sommes allées voir une pièce de théâtre; celui-ci était bondé (Lettres de non motivation au théâtre de la Bastille, très bon). Hier, c'était complet au restaurant Vivant. Silhouettes sombres - j'ai l'impression que les gens s'habillent plus sombre- mais visages rieurs. Le quartier du Faubourg-Poissonnière reste une vraie pub pour Heineken. Les tablées d'amis rient, se délient sous les éclairages flatteurs de pénombre. Les dos se voutent légèrement sous les compliments. Les hommes resservent le verre des femmes. Le serveur se glisse pour prendre les commandes dans une atmosphère ambrée. Le merlu au chou noir se déguste avec un snobisme tout parisien.
Je n'ai pas échappé à cette provocation qui consiste à surjouer l'impertinence et la futilité face à la barbarie, Rome brule et je joue de la lyre. C'est, de toute évidence, un réflexe humain.
Est-ce une forme d'immaturité ou de grande maturité? Je ne sais pas. Est-ce un sursaut de liberté tendant sa torche ou une totale inconscience de ce qui se prépare vraiment, une cécité volontaire? Sommes-nous munichois ou churchilliens?
Avec un ami, hier, nous avons à peine évoqué les drames. Bien au chaud dans un restaurant délicieux, nous avons savouré un vin blanc du sud tout en parlant de nos petites personnes et de l'amour. Et de la confiance.
Peut-être aussi nous méfions-nous des grandes envolées lyriques et des débordements de consignes éthiques à tenir (responsabilité des uns et des autres dans la guerre qui s'intensifie, culpabilité apaisante, etc).
L'oeil un peu plus rond que d'habitude, j'ai envie de me ranger derrière le gouvernement et de ne pas faire de vagues. Après l'élan de solidarité, arrive celui des voix discordantes sur les réseaux sociaux.
Je suis fatiguée d'écouter ces voix discordantes. Elles me rappellent ce qui m'ennuie au quotidien: les pas ou mal aimés, les ivres de reconnaissance qui vous plombent une réunion de boulot car dès qu'ils l'ouvrent, on sait qu'on va subir la logorrhée de 45 mn d'un type - ou d'une femme mais j'ai remarqué que c'est souvent un type - qui croit tout savoir, qui ne sait généralement rien, mais qui a juste envie de l'ouvrir pour exister. Je suis fatiguée des fragiles qui jouent aux forts sans se rendre compte que leur fragilité est criante à travers leur volonté de ne rien écouter, de vouloir exister sans prendre en compte autrui. Je suis fatiguée par ceux qui veulent par dessus tout être importants. Par ceux qui prétendent vous aider alors qu'ils ont avant tout besoin d'aide.
On brandit l'idée d'une démocratie directe ?J'imagine derrière ce mot la masse des névrosés de la terre que papa ou maman n'ont pas ou mal aimé et qui trouvent dans la chose publique une sorte de compensation à leur soif de reconnaissance. Pitié, ne m'infligez pas sur les hautes marches du podium le petit caporal mal dans sa peau, la prof qui pense détenir la vérité, l'obscur sociologue rêvant d'être publié, la mère d'un surdoué qui veut qu'on l'entende, le musicien maudit, le sacrifié conjugal et le sacrifié salarial.
La démocratie directe, c'est une thérapie facebookienne. Une illusion.
Je garde l'intime tendresse. Avec les amis, nous continuons à rire, quitte à paraitre artificiels. Je laisse au gouvernement le sang-froid des grandes manoeuvres. Je suis une petite, une toute petite citoyenne qui peut râler sur la politique, mais qui obéit sagement en cas de tempête. Sauf si on lui demande de pactiser avec l'ennemi, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Alors je repars dans les conversations sur l'amour, la beauté et la confiance, je vais sur les terrasses, je souris aux sourires, et je sublime la joie.