La bouleversante photo, la photo qui envahit les médias du monde. Le petit enfant mort noyé, échoué sur une plage turque. La bouleversante photo que les médias français ont eu tant de peine à relayer. Insoutenable? Même pas. La mort d'un enfant est toujours insupportable et pourtant, la photo est calme, presque digne. Un tout petit garçon, le visage dans le sable, les bras le long du corps, vêtu comme pour aller à l'école avec ses petites chaussures encore aux pieds. En effet, Aylan Kurdi semble dormir dans la position des nouveaux-nés. C'est peut-être cette position de nourrisson dans son sommeil qui émeut au delà de l'imaginable. Une photo montrant un corps gonflé d'eau, avec un jeune visage défiguré par l'asphyxie aurait-elle enflammé la planète entière? Si cette photo émeut tant, c'est justement parce qu'elle reste soutenable. Elle permet l'indignation. Elle permet l'identification. Aylan Kurdi, comme d'autres avant lui, rejoint la longue cohorte des jeunes innocents évoquant une enfance perdue dans la mort, une enfance esthétisée par le drame. Et parce que c'est une photo aussi sereine que morbide, elle engendre l'élan de la compassion. La mienne en premier lieu. Aucune image jusqu'à présent n'a provoqué autant de réactions. Et pourtant... Corps torturés, décapités en direct, images ensanglantées, fillettes violées et massacrées, nous avons le choix dans l'horreur immédiate. Alors, pourquoi cette image et pas une autre pour nous donner l'énergie de demander fermement à nos gouvernements d'accueillir les réfugiés fuyant la barbarie? Parce que nous ne pouvons plus physiquement supporter de voir des jeunes corps mutilés. Nous, Européens gâtés, éduqués, nous ne pouvons plus supporter la vision d'un corps battu. Nous avons besoin d'une triste et belle icône pour bouger. Les médias français ont hésité? Moi aussi. 5 mn. Pas plus.
Nous pleurons un enfant, nous pleurons l'enfance. Elle nous attendrit, luxe que nous pouvons nous offrir alors qu'il existe des endroits du monde où la notion de sentiment d'amour est au delà du luxe : il est tout simplement impossible. Des pays où les ravages sont tels qu'il faut penser à survivre avant de penser à aimer.
J'espère qu'en pleurant ce petit, notre humanité n'oubliera pas la cause d'une mort aussi triste. J'espère qu'elle se bougera, même si j'eus souhaité qu'elle se bouge dès les premières images d'horreur.
Mais peut-être est-ce un encouragement, non une lâcheté : peut-être sommes-nous tant et tant dégoutés, las des images convulsives de la guerre que c'est notre ultime beauté, notre ultime courage de réagir avec peine et violence à la mort innocente sans traces de coups ni de meurtrissures. Peut-être...
Toutes les guerres ont des victimes innocentes. Des photos bouleversantes sont légions depuis Niepce. Des clichés des enfants morts durant la Commune de Paris aux massacres des guerres récentes montrent les horreurs des conflits. Il en a toujours été ainsi. L'homme moderne n'est recouvert que d'un mince vernis de civilisation.
Ce petit mort me touche, mais ne m'émeut pas.
Rédigé par : Le Nain | 04 septembre 2015 à 03:49
La photo qui devrait nous faire réagir tout de suite est celle de la petite chrétienne syrienne décapitée. Mais il en est des photos comme du reste: la télégénie de la mort prime sur la mort.
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 04 septembre 2015 à 16:19