Mon amour,
Je t’écris pour te raconter ces vacances –mais peut-on parler de vacances ? – en Israël et en Jordanie. Après tes funérailles, je me suis dit que si je ne partais pas, j’allais tomber malade. J’ai été bien entourée. Les amies ont répondu présent. Les femmes me sauvent toujours, tu le sais bien ; tu aimais mon dernier livre sur l’amitié féminine. L’une d’elles, notre Constance, a suggéré le Proche-Orient. Tout sauf une plage avec des touristes suintant la crème solaire. Des émotions fortes. Des vraies. Israël ? Je te vois froncer les sourcils, toi qui détestes les rituels religieux, la foi ostentatoire. Qu’aurais-tu pensé de ce pays ? Je l’ai traversé pendant deux semaines en te cherchant à chaque minute sur les collines de Jérusalem. Zéro. J’en ai pleuré de rage. Mais ailleurs, je t’ai senti au fond de moi. Avant de partir, ma vision d’Israël était un mirage, un fantasme orné d’histoire occidentale. La judéité, je la voyais sous les traits de l’Amérique. Considérant l’âge d’or hollywoodien comme un mouvement esthétique comparable à la Renaissance, j’imaginais le pays gorgé de personnalités à la Samuel Goldwyn, Louis Mayer ou – mon préféré – Irving Thalberg. Je pensais trouver Lubitsch à tous les coins de rue. Premier coup bas : ce n’est pas un pays à la tradition esthétique. C’est un mélange entre rêves collectivistes néo-marxistes, capitalisme, brutalité et religion austère. C’est curieux, j’ai pensé à l’Allemagne. La même rigueur. La même courageuse ténacité. La même prodigieuse capacité de travail. C’est un pays efficace avant d’être un pays où il fait bon vivre. Tel Aviv ? Pas très jolie. Mais attachante, on respire. Une ville fêtarde, c'est-à-dire une ville faussement joyeuse, une ville triste sous son masque de pubs nocturnes. Tu aurais aimé le boulevard Rothschild et ses arbres. Tu n’aurais pas aimé sa plage, ses pigeons, ses touristes français insupportables. Un chauffeur de taxi m’a prise pour une Anglaise ; j’ai trouvé que c’était un très beau compliment. Le musée Ilana Goor à Jaffa t’aurais laissé perplexe. Tu te serais extasié sur les volumes, la rampe d’escalier. Moins sur le décor baroque. Le baroque, c’est ma partie, n’est ce pas ? Massada : là, c’est ton domaine. Celui de l’architecte qui observe le génie civil de l’Antiquité. A moi l’Histoire (les Zélotes ont résisté héroïquement, n’empêche, c’étaient des fous de Dieu infréquentables), à toi les voutes et les piliers porteurs. Je te murmure l’histoire romaine que je connais du bout des doigts, des Julio-claudiens à Dioclétien. Tu me parles système de tout à l’égout, citerne, capillarité des murs, inventivité de l’homme. Nous admirons ensemble le panorama incroyable de Massada sur la Mer Morte. Je vais me baigner dans cette eau huileuse. C’est très agréable, j’ai l’impression que cela fait du bien à mon corps. Tu opines du chef. Le cadre est si beau que je te vois. J’en pleure. Des larmes salées, bien sur.
Je commence généralement à Dioclétien. Je suis intarissable sur la fin de l'empire, sans totalement méconnaître ce qui précède. Mais ce ne sont pas là des régions pour moi, trop chaudes. Sauf peut être au printemps.
Rédigé par : Le Nain | 13 juin 2013 à 16:51
J'ai mes chouchous : Trajan, Marc-Aurèle et Constantin
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 13 juin 2013 à 20:54