Le goût à rien, ça existe ? Pour y remédier : GOOD, GOOD, GOOD, GOOD VIBRATIONS...
Dans l'anonymat (relatif) de la grande aventure du blog, il y en a UN qui semble aimer... LES US. et particulièrement les séries US. Et qui pourrait bien nous en pondre une un jour, série US. Sauf que j'aimerais qu'elle soit frenchy. Pour le Don, un p'tit voyage ?
J'ai 11 ans. Laissez moi rêver que j'ai 11 ans... Roissy est flambant neuf. je me pince, j'ai mon PASSEPORT. C'EST MON PREMIER VOYAGE. Je baragouine 5 mots d'anglais. Un anglais de 6e, c'est dire. Mon père avait gardé d'un séjour universitaire une solide amitié avec une famille de Boston. Les Kurland. J'allais, frétillante, rejoindre la "correspondante", une adorable gamine de mon âge qui était très diabétique (mon épilepsie ne posant aucun problème à cette famille, habituée aux maladies sournoises).
J'ai tout aimé d'emblée. Le beau-père-la-mère-la fille-le grand-père-la-ville. Le pays. J'étais si peu timide. Et les Amerloques me semblaient si simples... Les US ? une évidence, pour une spontanée de mon espèce. La famille Kurland était du genre pas d'horaires, beau-père psy compréhensif, mère toute menue au large sourire, bonbons à tous les étages. Une religion (juive) pas écrasante pour deux sous et pratiquée en sourdine. Le rêve.
Mais le rêve, il ne l'avaient pas tj vécu : c'est Bibs, le grand-père de la famille qui me raconta son histoire. Bibs ressemblait à Bob Mitchum. Un Mitchum avec la bonté d'un Jimmy Stewart.
Son propre père avait fui les pogroms polonais. Bibs avait fait une brillante carrière d'avocat d'affaire. Il avait épousé la femme de sa vie, Beth. Deux enfants naquirent dans les années 30/40 : Bobby (copain de mon père à l'université) et Roger. Bobby (père de ma correspondante) n'eut que le temps de se marier et de mettre au monde deux fillettes avant de succomber à une leucémie foudroyante. Son jeune frère, Roger, le rejoignit très vite. En 1968, les Kurland n'avaient plus d'enfants. Beth tomba malade. Cancer, comme ses fils. Elle mourut en 73, laissant Bibs tout seul dans sa belle maison. La maison de sa réussite. Il restait à Bibs ses deux petites filles qu'il choyait avec précaution. Je fus bientôt la troisième. Bibs m'apprit qu'après le plus atroce des chagrins rien n'est totalement perdu, qu'on peut ne jamais se remettre d'un drame tout en étant heureux.
Il était génial. Drôle, avec un rire... il riait en faisant : hin hin hin. Il me parlait dans un lent français cérémonieux alors que j'étais censée apprendre l'anglais. Il m'a tj fait rigoler, sauf une fois : passant devant une photo de Beth dans son salon, il soupira : "elle était très belle, ma femme". J'ai balbutié un "yes" étranglé.
Il nous emmenait au cinéma voir "Star Wars" (nous étions en 77, cela venait de sortir). Lorsque j'eus 16 ans, il essaya de me trouver un fiancé us pour que je vive près de lui. Ça a failli marcher !
Il est mort, dans mes bras, le crabe l'avait rattrapé lui aussi, l'année de mes 21 ans. J'ai pleuré à m'en rendre malade.Jamais je n'oublierai ma famille US. Jamais je n'oublierai ce jour où, débarquée en pleine période de Kippour je dis à Bibs qui voulait m'emmener à la synagogue : "mais, Bibs, je ne suis pas juive !
- Tu es ma petite fille, tu m'accompagnes !"
Mes US ? Un disque de Michael Jackson ramené avant tout le monde. Un brushing Farrah Fawcett à 12 ans.
Un baiser sur une plage avec Josh, 16 ans ts les deux (longtemps prof au Zimbabwe, aujourd'hui sénateur démocrate selon de récentes retrouvailles facebook totalement loupées, compassées et cérémonieuses). Le shopping dans les malls, et le coton américain des tee-shirts, si doux. New York, 14 ans, le choc sur des échasses.
Les orgies de bonbecs. Les deux vieilles soeurs de Bibs, aux lunettes papillon, carburant au gin tonic. La chaleur humide. Le viscose indéfroissable de l'ignoble robe rose saumon que je ramenai fièrement lors de la première épopée et que maman mit immédiatement à la poubelle.
Les maisons de la banlieue bostonienne, furieusement Wisteria Lane. Le charme de Lucy, ma copine diabétique (j'avalais mon gardénal pendant ses piquouses, ça nous donnait du courage). La télé DANS SA CHAMBRE ! j'y vis, trop jeune pour le comprendre, le film "le Lauréat".
Le match des Red Sox
contre je ne sais plus qui (je n'ai rien compris au base-ball).
La musique à plein tubes. Les années Carter / Reagan.
Un concert à Central Park.
Lorsque je revins après la mort de Bibs, les US semblèrent plus fades. Elles n'avaient plus la lumière malicieuse du Polonais magique. Mais j'ai bien appris la leçon de Bibs : lorsque j'y retourne (rarement, je voyage peu à présent), son rire me poursuit et continue d'insuffler l'optimisme. J'ai été une bonne élève. Quand "une cicatrice dans la tête" est sorti, j'ai songé qu'il devait être content pour moi. l'éditeur a coupé le passage où je lui rendais hommage; trop long. J'ai stupidement obtempéré. Réparons cet accroc.
Ce qui me réconforte : après tous les désastres affectifs (je suis persuadée que de Là Haut il les condamnait de son fameux : "Valoche, tu as un gros défaut, tu préfères l'amour à la personne aimée"), Bibs aurait adoré Ingalls.
God bless Bibs, God bless America.
Yes, I can (et c'est pas trop tôt ! , foi de pine'up !)
Très attachante cette note, émouvante mais parsemée de petits détails qui rendent bien la sympathie que tu as pour cette époque.
Dommage en effet que l'éditeur t'ait demandé de couper.
Rédigé par : Fredouat | 30 avril 2010 à 10:35
Fredouat, ce type, sympathique au départ (l'éditeur) s'est révélé au final un GROS CON
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 30 avril 2010 à 13:19
Précision : j'ai changé de crèmerie
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 30 avril 2010 à 13:19