J’observe avec amusement les titres des journaux. « Où sont les hommes ». « Bobos contre cathos »… Heureusement, mon Ingalls, tu fus un homme ni catho ni bobo : tu fus un vrai homme. Un homme à part. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, la bourgeoisie se ressemble étonnamment en dépit des apparences. Toi, charmante célibataire, écoute les constats de la vieille Valérie : tu cherches un homme bien élevé la quarantaine se portant belle. Un homme éthique. Un homme qui a une CONSCIENCE. Dans tous les cas, il sera prévisible. Jusqu’à l’ennui ? Jusqu’à l’apaisement ? A toi de voir. Appelons le catho Etienne et le bobo Stéphane. Les deux ont été scouts. Les deux sont baptisés. Etienne va - parfois sporadiquement - à la messe, fait partie de la paroisse, est un fantastique parent d’élève. Ses enfants s’appellent Louis, Côme, parfois aussi un prénom local style Tugdual (Bretagne) ou Séverine (Bordeaux). Son jean est à mettre au feu. Il peut avoir une certaine fantaisie donnée justement par son sens des limites. Stéphane a détesté la messe, rejette son éducation chrétienne, travaille dans l’événementiel quand il n’a pas été un l’Oréal boy, se croit non conventionnel alors que ses enfants portent les mêmes prénoms que ceux d’Etienne (avec une variante « ouverte d’esprit » vers les prénoms italiens pour les filles, Allegra, Pia…), et qu’il est lui aussi un fantastique parent d’élève. Il aime les shorts Sundek, ça fait jeune. Les deux font du jogging et vénèrent les femmes minces. Stéphane achète GQ, Etienne ne lit aucun magazine de mode. Etienne dit aimer les gens, tous les gens, mais serait frappé d’horreur si son enfant ramenait un(e) prolo à la maison. Sauf si la/le prolo a tb réussi. Stéphane dit aimer les gens, tous les gens, mais serait frappé d’horreur si son enfant ramenait un mec/fille moche à la maison. Sauf si il/elle est normalien(ne). Les deux vont en Bretagne-Pays Basque pour les vacances. Etienne aime le foot, les Tontons Flingueurs, le Cure de sa jeunesse. Stéphane aime le rugby, les Tontons Flingueurs et le Bowie de sa jeunesse. Etienne perd ses cheveux et les rabat bizarrement. Stéphane perd ses cheveux et achète à prix d’or des lotions suisses anti alopécie. Les deux ont une cathomobile, mais alors qu’Etienne l’aime bien, Stéphane en a honte et rêve secrètement de 4x4 genre jeep usa. Les deux disent relire les classiques en vacances, les deux lisent Jo Nesbo en vacances. Sur les réseaux sociaux, ils adorent dire que leurs enfants ont eu mention TB au bac. Sur Facebook, la photo d’Etienne est rigolarde, mal cadrée, prise dans un préau d’école ou à un dîner en train de faire le zouave – on sait s’amuser dans la famille, diantre. Sur Facebook, la photo de Stéphane a été ciselée: retouchée, belle posture, sourire mais pas trop, en un mot, avantageuse. Ou une photo de lui en train de surfer. Une photo « à la Villepin », un homme pourtant qu’il ne peut pas supporter. Etienne est allé aux premières manifs pour tous – après, plus le temps. Stéphane est un mariage pour tous de la première heure, même s’il n’ose pas dire que le spectre de la gpa le glace un peu. Etienne aime les crêperies. Stéphane aime les bars à tapas. Les deux donnent leur sang. Etienne sait qu’il est banal et s’en fout. Stéphane croit qu’il est à part et ne s’en fout pas du tout. Les deux sont archi convenus. Les deux aiment faire de la randonnée « en famille ». L’un avec une femme à la coupe de cheveux de guillotinée, une silhouette parfaite et des fringues de sport –Nike au Ferret. L’autre avec une femme lévrier méché-cheveux-lisses - Zadig et Voltaire à Biarritz. Etienne pense que Hollande va ruiner le pays. Stéphane pense la même chose, mais il est de gauche depuis le bac, alors… Les deux parlent du peuple sans le connaître. Populaire pour eux signifie populiste, ce qui anémie considérablement leur imaginaire. De temps en temps ils lâchent une grossièreté en pensant que c’est de l’argot littéraire. Ils ne connaissent pas l’argot. Ils ne font que réciter les répliques de Michel Audiard.
Charmante célibataire, à toi la main. Tu connais les codes, si jamais l’un d’entre eux divorce, tu es prévenue : à peu de chose près ce sont les mêmes.
Et moi, quand je les vois, je me dis que j’ai eu beaucoup, beaucoup de chance d’aimer un rêveur, un homme qui n’aimait pas les réseaux sociaux, qui n’en avait rien à foutre du physique, un gourmand, un câlin, un courageux. Un homme capable de créer son univers avec des tas de losanges différents. Un homme d’une élégance fatale. Qui connaissait l’argot sur le bout des doigts. Et n’employait jamais un anglicisme débile.
Je n’embrasse qu’Ingalls, le seul, l’original.
PS : cette lisse description omet l'énorme avantage que possèdent les cathos comme les bobos : en général ils ne font de mal à personne car ils n'ont pas d'addiction cauchemardesque (alcool, sexualité de détraqué...). j'embrasse doublement Ingalls pour avoir été A LA FOIS un homme sain et un homme unique.