On n'arrête pas le progrès? Oui, et c'est de pire en pire. On élit les champions de l'instantané, même ceux qui nous endorment avec des références au "temps long" pour mieux nous détruire en l'espace de quatre ans, sans projet visionnaire, sans cadre d'intérêt général.
D'où nous vient ce monde du "pas le temps"? D'où est arrivée la mauvaise éducation élevée au rang de normalité? Le net nous a-t-il transformés en peuplades invivables qui agressent un serveur trop lent, un livreur se trompant de paquet, une boite nous faisant patienter à coup de petite musique de nuit...
Je plaide pour le retour à la flânerie et au dialogue. A minima. Le "pas le temps" n'est qu'un sale alibi pour mal se comporter : on a toujours le temps de prendre 5 min pour appeler un ami, on a toujours le temps de prononcer des s'il vous plait merci, on a aussi le temps de constater à quel point nous sommes embringués dans une folle course moutonnière qui nous fera perdre des lambeaux de civilisation, telle une passoire à gros trous laissant filtrer les astucieux les moins intéressants. Les startupers ont remplacé les traders de ma jeunesse, dans une aura épileptique qui suit sa course barbare lancée à plein galop.
A vingt ans, je ne les supportais déjà pas, ces cadors de la Bourse qui fêtaient leurs succès dans du champagne tiède versé dans des verres en plastique (pas le temps de le mettre au frigo et pour le raffinement, il demande trop d'efforts) pour mieux se ruer l'instant d'après sur la chair fraiche ou le restau des Halles vanté dans Actuel. Leur mot honni était "ringard", mais ils n'avaient aucune conscience de la vacuité de leur monde de plexiglas, ils préféraient la nuit se mettre de la coke dans le nez aux Bains pour se retrouver en salle des marchés dès potron à brasser des fortunes. Ils les ont d'ailleurs acquises, et se sont transformés en types terrorisés par l'approche de leur soixantaine. Il leur reste à adouber leurs trentenaires d'enfants, leurs héritiers en droite ligne qui leur concoctent, via de nouvelles boites qui n'embauchent pas, des promesses de potions d'immortalité : une nourriture SAINE, des endorphine SAINES pour réparer leur cloison nasale (du sport tous les jours, p'pa, et n'oublie pas de renforcer ta sangle abdominale à la salle de gym de l'Assemblée.)
S'éloigner de la nature humaine : c'est déjà là. Et si le monde ne va pas assez vite pour ta prodigieuse intelligence, va chercher des robots asiatiques qui te couteront deux bras. Et si ta santé laisse à désirer, va te cloner un miséreux cobaye, en temps voulu, il te servira de médicament. Et si tu veux un gamin, pas de problèmes, l'Inde te loue des ventres pour 10000 euros.
Mais, ici et là, il est encore temps de repérer les chemins de traverse. Ceux que prennent, sans en avoir l'air, celui ou celle qui sait s'arrêter devant autrui. Pas pour sa gueule, pas pour sa représentation financière, mais pour l'autre. Il y a encore une marge avant que le sentiment devienne un luxe inabordable. Elle passe par des courses au trésor, des archéologues enthousiastes, des peurs de mourir ou vieillir raisonnables et raisonnées, des boutiques où il fait bon parler, des restaus qu'on peut fréquenter seul ou à plusieurs sans se faire bassiner par le patron sur l'origine des produits mais plutôt sur les gouts au sens large dudit patron, des générosités discrètes, un je m'en foutisme total quant à l'image qu'on renvoit... La liberté et ses bienheureuses contraintes, la liberté de ne pas se coucher devant les influenceurs et autres charlatans.
Tout ça pour vous dire que le macronisme non seulement ne me fait pas rêver mais me dégoute à peu près autant que le trumpisme dont il est un dérivé masqué par le vernis d'une culture classique, et pour répondre à ceux qui me disent : "s'il te dégoute, c'est que tu es facho-ou-coco-c-est-à-dire-la-même-chose" ; gardez vos maigres arguments pour vous, je suis loin de me précipiter dans les bras de la vieille France souverainiste et rance, dans l'intellectualisme pompeux, loin de tomber dans les délires religieux de toute espèce; 4 ans, c'est long...
Pour l'éloge de la lenteur : le mois d'aout arrive. Le mien sera placé sous le signe de la famille et des amis. Il sera dans la lecture et le partage, comme la vie doit l'être.
Baisers à tous.