Week-end au coeur gonflé d'un trop plein incompressible. Je me sens ce soir à la fois lessivée et au bord de l'explosion, l'esprit harcelé de questions, la parole en état d'urgence. Tout est allé trop vite ces jours-ci dans une fuite éperdue pour ne pas voir bien en face le chagrin qui revenait d'un coup d'un seul avec l'anniversaire des 55 ans de François. Né un 30 mai 1960, tu es revenu à la surface pour me poignarder d'un sentiment de manque, de manque, de manque...
J'ai fait comme si je tenais debout ; je n'ai annulé aucun rendez-vous, j'ai recherché la compagnie d'un excellent nouveau pote, j'ai recherché ses rêves et ses ambitions, sa loufoquerie, sa soif de projets d'écriture. Il explore le pays des femmes. Quand est-il de mon pays des hommes?, murmure une voix en sourdine.
Mon actuel pays des hommes est un pays d'une homogénéité presque glaçante par instants. Je les écoute tous, les abandonnés par l'épouse après 20 ans de bons et loyaux services, après un amour qui s'est effiloché de manière plus ou moins sournoise pour arriver à l'affreux constat : elle ne m'aime plus, c'est fini et j'en viens à me demander si elle m'a jamais aimé. J'écoute leur amour-propre saccagé, leur sentiment d'humiliation qui surpasse la tristesse de l'amoureux éconduit. J'écoute des colères qui se ressemblent beaucoup. J'essaie de me mettre à leur place, c'est la moindre des choses que se mettre à la place des amis. Je les vois passer de rien à une frénésie de rencontres. Je les sens partir à la conquête de leur vie sexuelle comme si c'était un graal, une remontée du CAC40 à valoriser vaille que vaille et surtout à garder bien haut, en étendard viril, comme pour contrer le mépris des dernières années conjugales qui rode, tenace cicatrice des rejets physiques des épouses. Je n'ose pas leur dire que ça ne m'intéresse pas beaucoup. Parfois, ils maquillent leurs nouvelles rencontres en amour, parce qu'un coup d'un soir c'est trop sordide et qu'une relation-miroir n'est pas si flatteuse que ça. Quand ils obtiennent - enfin ! - une adulation féminine, ils la rejettent avec la même nonchalance dont ils ont été victimes, dans un cruel mouvement de balancier de perdus.
Je leur donne de la tendresse, de l'amitié, parfois une ironie, mais ils sont sur une terre qui reste mystérieuse, incompréhensible. Souvent ils se méprennent sur mes sentiments et ma gentillesse passe pour de l'amour. Oh, non, les amis, ce n'est ni de l'amour ni un état amoureux; vous me faites un peu peur, même si je vous trouve attachants. Je ne suis pas amoureuse de vous, sexys amis. je ne suis pas amoureuse de vous parce qu'à force d'écouter vos complaintes j'en viens à penser que vous ne savez pas ce qu'est l'amour. Vous n'en connaissez que la blessure. A force de me parler de vos malheurs, vous ne vous en rendez pas compte, mais votre aptitude à la sensualité et à la complicité se réduit comme peau de chagrin. Le temps qui passe vous étrangle le coeur. J'en viens à plaindre vos petites amies du moment que vous traitez au mieux comme des putes gratuites, au pire comme des fiancées à larguer. Vous consoler, vous dire que vous en valez la peine ? En fait, je ne suis même pas certaine de le penser.
Mais qui suis-je, hein, pour être d'une telle sévérité ? je suis une femme qui n'a jamais été quittée. Du moins dans ses histoires déterminantes. je suis toujours partie la première. François, la mort me l'a volé, après une bataille homérique. Je n'ai donc pas le syndrome de l'abandon, et si j'ai le malheur de vous le confier, votre regard change de manière à la fois incrédule et hostile. Je deviens l'autre, l'ennemie qui vous a fait tant de mal. Pour un peu vous me la souhaiteriez, cette mise au pilori.
Alors, tandis que vous parlez, parlez, parlez, je me réfugie dans des bras qui sont sur une autre planète. Dans la planète de ceux qui prennent les devants et partent avant qu'il ne soit trop tard. Ou dans celle, bien-aimée, de ceux qui savent à quel point l'amour se conjugue dans une fidélité en apesanteur, une évidence à travailler, à ciseler à l'infini dans une constante empathie. Pour lesquels l'amour se chante, mais ne se gémit pas. Un kaléidoscope de sourires ensoleillés repasse dans mon oeil. Et la lumière revient ; brusquement je vous regarde avec une douceur qui vous trouble; cette douceur n'est pas tout à fait pour vous, elle est l'écho de mon passé ; personne ne pourra poser de sales pattes sur l'aura de mes amours.
Futur homme de ma vie, tais tes amertumes et donne-moi ta joie. Là, je sais que je suis capable d'y répondre.