Les îles des femmes en fleur. Cette note est dédiée au plus grand prescripteur de finesse, l'ami au prénom couronné.
Au Japon, être une femme n'est pas un avant-goût de l'enfer: c'est l'enfer. Peu de sociétés ont à ce point aliéné le féminin, le corsetant avec autant de cruauté qu'un sécateur sur un bonsaï. Pourtant, dérisoire insolence, la Japonaise écrase son compatriote d'une élégance de chaque instant. Autant les hommes se fondent dans un anonymat gris-blanc-noir d'où émergent quelques rétifs à la discipline qui brandissent une longueur affichée de cheveux correspondant au vœu d'en découdre, autant les femmes nippones sont un spectacle inlassable de grâce pure. Jeunes filles, femmes, aïeules, toutes différentes, toutes avec quelque chose d'unique dans l'impeccable. Le pantalon noir évasé, la taille fine serrée, la chemise repassée et qui sent bon le savon frais, le sens du détail (sacs, lunettes, foulard, coupe de cheveux) exacerbé, le regard imprégné du fameux quant-à-soi asiatique avec une légère pointe de sécheresse, elles forment une armée de bambous délicats trop exceptionnels pour trouver le bon alter ego.
J'ai eu de la peine à détacher les yeux d'elles... Je repense à cette petite femme, assez âgée, saluant sa fille avant de monter dans le train de la montagne. Sa dignité... Le dernier regard qu'elles se sont lancées... Je n'en ai pas perdu une miette- il ne faut jamais perdre une miette des preuves d'amour. Je lui ai monté sa petite valise presque de force - elle a passé 15 minutes à me remercier, provoquant chez moi une gêne palpable, avant de déballer son déjeuner soigneusement préparé...
Ou encore ces deux amoureux sexagénaires de Shibuya, trônant parmi la foule criarde des cosplays, fantômes distingués tranchant avec les minijupes et les costumes de lapins. Dédaigneux, superbes, méprisant ouvertement le besoin de se déguiser, arrimés l'un à l'autre, forts de leur évidence.
Se perdre à observer ces longues sirènes, les plaindre de tout son cœur. Sauf exception, elles finissent avec une petite brute dévouée à son entreprise qui revient crevé et ivre de son travail à des heures qui interdisent la vie conjugale.
Alors, aussi belle que la plus exquise des pâtisseries, la femme japonaise, bien loin de gémir sur son sort, renonce à être, mais met ses forces si touchantes, si puissantes, dans un paraître d'airain.
Ce paraître d'airain était le propre de l'ami auquel cette note est dédiée. Pour lui, il aurait fallu inventer un mot plus fin que finesse. Merci, chéri, d'avoir croisé mon chemin. Merci de m'avoir aimée, il y a bien longtemps. Merci de m'avoir aidée. Merci, roi de l'écoute, d'avoir gardé ta fausse paisibilité en bouclier de nos échanges, même si nous ne pouvions être dupes des fragilités. Pour toi, l'été sera élégant. Je te le promets, par-delà la mort.