En rangeant ma bibliothèque je suis tombée sur une bonne vieille perle : "Moi, un comédien" de Jacques Charon.
Comment ? Vous ne connaissez pas Jacques Charon ? Ah... malheureuse jeunesse.
Lorsque j'était petite, cet homme - une rondeur, lui aussi aurait mérité sa page dans le ELLE - faisait les beaux jours du Français. Mort bien trop tôt, en 75 alors qu'il avait 55 ans, il a laissé des mémoires qui sont loin d'être impérissables mais dont se dégage une gaieté qui rendrait presque mélancolique. Mort bien jeune, certes, mais après une vie entière dédiée au rire. J'appelle cela avoir réussi sa vie. Se dégage aussi sa tendresse vacharde pour son compagnon Robert Hirsch, son calvaire et son amphitryon.
Commment rendre hommage à celui qui me fit adorer Molière ?
"Les gens de la nuit sont une famille sans cesse réunie", écrit-il. Charon s'épanouissait dans une tribu poreuse, virées chez Castel ou impros ds un troquet pouilleux, une fine équipe où les impromptus fusaient. La fine équipe (Hirsch, Maillan, Boudet, Desmarets, Chazot, Descrières, Piat, Sapritch et tous les autres) vivait de fêtes, de gueuletons, de tournées, de week-end saugrenus, de blagues façon "les grands enfants". Un truc de rêve.
Les caprices de Robert Hirsch ponctuent le récit :
"la Grèce a été une tournée d'un bleu radieux. Le voyage avait commencé par une folle rage de M. Hirsch, sociétaire offensé de la Comédie-Française.
Quand la Comédie-Française va s'envoler, à Orly il y a toujours des photographes. Cette fois-là comme d'habitude les photographes nous attendaient. on nous fait passer par le salon des V.I.P., et nous parcourons le tapis rouge déroulé pour nous jusqu'à l'escalier du Boing, l'escalier de la première classe. On monte, on se retourne on sourit, on entre dans l'avion et... l'hôtesse nous prie de passer en classe "économique". Le tapis rouge, le salon, c'était de la frime pour les photographes. J'ai cru que Robert allait redescendre en marche ! Il était fou de rage. Il a demandé si, au repas, on nous servirait de la carapace du homard, la chair ayant été ôtée pour raison d'économie ? De toute manière on nous a servi du poulet gélatineux et de la macédoine et, à l'arrivée, l'hôtesse est venue avec un sourire charmant pour nous prier de retraverser la ligne de démarcation pour sortir par la première classe sous l'oeil des photographes grecs. Moi, j'ai dit : "bon". Mais Robert : "Non ! a-t-il hurlé. j'ai voyagé dans la queue je serai chié par la queue !"
A ranger à côté des mémoires de Gélin (qui sont, elles, tb écrites) et surtout, ne lisez pas -mais peut-être est-ce déjà fait celles de Brialy qui sont assommantes, voire déplaisantes.
J'ai une indulgence pour les hommes gironds (on l'a compris). Peut-être est-ce dû à la joie de vivre que Charon distillait avec tant de générosité ds le poste en noir et blanc des années d'école primaire.
Et puis ce livre évoque qq chose qu'il est choquant d'énoncer : on se marrait formidablement sous l'Occupation. Les époques les plus atroces et les plus noires ont tj généré de grands comiques. Charon n'était ni résistant ni collabo. Mais il ose dire que ds la troupe des comédiens, ds leur monde irréel, l'horreur les galvanisait. Un peu comme si dans les périodes de calme, de tranquillité relative, les ressources d'ingéniosité comique étaient mises en sourdine.
Pauvre Jacques Charon : dans Wikipédia, on égrène une liste sèche de toutes ses apparitions. Rien de plus. Hirsch avait bien raison de se montrer capricieux : dans la même source il y en a des tétrachiées sur son jeu étourdissant. Robert, prend ta plume et va TOUT de suite étoffer la postérité de ton faire valoir !
Alors, à la mémoire de Jacques... Jacques que je voulais épouser à 10 ans - j'étais prête à patienter - sans me douter une seule seconde que nous ne priions pas de la même façon...
A la naïveté de la pine'up, et à la bonhomie de certains êtres (Ingalls, sous ses dehors rugueux, a une tendresse de chat angora). J'ai trouvé mon jacques !
Et à cette vidéo du lac des cygnes façon Hirsch/Charon, hélas très mal numérisée, qui me fit tant rigoler.
Formidable et tellement vrai. Bravo
Rédigé par : patrick | 18 janvier 2017 à 08:31